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ces libérales paroles, il n’y ait encore plus d’une restriction, plus d’une arrière-pensée. M. le ministre de l’intérieur, par une vieille habitude sans doute, traite un peu les nouveaux-venus en repentans suspects, et il leur dit au besoin : « Nous serons bienveillans dans la mesure où vous serez dévoués. » C’est peut-être au fond une manière de ne rien dire. Et M. le ministre de l’intérieur a, lui aussi, sa chimère qu’il promène dans ses voyages, dont il a parlé à Cahors, dont il vient de parler de nouveau à Luchon : c’est la caisse des retraites ouvrières. Comme M. le ministre des travaux publics a ses chemins de fer, M. le ministre de l’intérieur a sa caisse des retraites. M. Yves Guyot ne compte pas avec la fortune de la France, M. Constans ne voit qu’une bagatelle dans les 150 millions que sa caisse coûterait au budget. — De sorte que si on cherche le dernier mot de toutes ces manifestations ministérielles qui se succèdent depuis quelques jours à Paris et en province, on arrive peut-être à un résultat singulier. On finit par découvrir que dans tous les discours de M. le ministre de l’instruction publique, de M. le ministre des travaux publics, de M. le ministre de l’intérieur, ce qui manque le plus, c’est une certaine unité de direction, un certain ensemble d’idées justes et précises, c’est l’esprit de suite, de prévoyance, de gouvernement, pour tout dire. Et cependant, ce qui serait plus que jamais nécessaire aujourd’hui, ce serait un gouvernement assez prudent pour se défendre des hasards, assez bien inspiré pour ne pas marchander sur les conditions d’une sérieuse pacification intérieure, assez sûr de lui-même pour concentrer et manier avec autorité toutes les forces, toutes les ressources de la France.

Qui aurait dit il y a deux mois, à l’approche des vacances, qu’avant peu, au milieu des petits incidens de tous les jours, il allait se passer un événement qui devait d’abord étonner, puis émouvoir et agiter l’Europe ? Qui aurait pensé que quelques navires envoyés pour remplir une mission de courtoisie sur les côtes du golfe de Finlande allaient créer ou dévoiler une situation nouvelle ? C’est cependant ce qui arrive dans un temps déjà si fertile en surprises et en coups de théâtre ; c’est ce qui préoccupe depuis quelques semaines l’opinion universelle, de plus en plus attirée vers le spectacle inattendu offert à Cronstadt, à Saint-Pétersbourg, à Moscou, partout où passent nos marins, conduits sur les côtes de Russie par M. l’amiral Gervais.

On pouvait sans doute compter, pour nos officiers et nos soldats, sur une réception courtoise, puisque ceux qui avaient organisé et décidé cette mission devaient savoir ce qu’ils faisaient, on ne pouvait vraiment prévoir la vivacité et l’étendue des manifestations dont la présence de l’escadre française dans les eaux russes est devenue si rapidement l’occasion. Et ce qui donne une signification plus saisissante à des scènes si nouvelles, c’est l’unanimité des sentimens, c’est la