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protocoles, des engagemens écrits, des traités d’alliance offensive et défensive ? Il n’y a probablement rien de semblable, malgré le zèle qu’ont mis les nouvellistes à divulguer le prétendu secret des négociations de Saint-Pétersbourg. Traités et protocoles sont assez inutiles, et, si on pouvait avoir un doute, une illusion sur ce que valent les papiers diplomatiques, le premier ministre de la reine Victoria, lord Salisbury, nous a suffisamment éclairés en déclarant ces jours derniers, avec une certaine désinvolture, que les protocoles n’étaient rien, que les intérêts du moment décidaient de tout. Ce sont les intérêts qui font aujourd’hui un rapprochement, favorisé peut-être par une certaine facilité d’esprit et de rapports entre Français et Russes, qui n’ont jamais été des ennemis irréconciliables, même quand ils ont eu à vider leurs querelles par les armes. Sans doute il a pu y avoir, plus d’une fois, il peut y avoir encore, entre la France et la Russie, des intérêts différens sur quelques points du monde. Pour le moment, on n’a plus songé à ce qui pourrait diviser ; tout a visiblement cédé à la pression d’un intérêt supérieur qui fait des deux puissances des alliées.

C’est la force des choses qui depuis quelques années conspire pour ce rapprochement auquel les deux peuples s’associent avec leurs gouvernemens, et à dire toute la vérité, les premiers auteurs de l’alliance de la Russie et de la France, si alliance il y a, sont ceux qui l’ont préparée sans le savoir par les menées de leur diplomatie, qui l’ont précipitée par leurs démonstrations. On a cru pouvoir constituer au centre du continent une sorte de prépotence, agiter le spectre des coalitions, s’attribuer, du droit de la force et du nombre qu’on croyait avoir, une façon d’arbitrage dans l’occident. Récemment encore, on se plaisait à donner une représentation nouvelle de cette fameuse triple alliance, qu’on s’efforçait de transformer en quadruple alliance, sans s’apercevoir qu’on troublait ainsi toutes les conditions de puissance, tous les rapports entre de grands États. Le résultat a été et devait être de rapprocher les nations et les gouvernemens laissés en dehors de ces arrogantes combinaisons, de les conduire à opposer au faisceau de forces dont on les menaçait, le faisceau de leurs propres forces. On a prétendu disposer de l’équilibre de l’Europe par un bon plaisir d’omnipotence à trois ou à quatre, on n’a réussi qu’à partager l’Europe en deux camps, en décidant un effort énergique pour rétablir l’équilibre. On l’a voulu, c’est fait, et si, comme on n’a cessé de le dire, la triple ou la quadruple alliance n’a été créée que pour être une garantie de la paix, il y aura désormais, par l’alliance nouvelle, une garantie de plus, qui n’est peut-être pas la moins sérieuse et la moins efficace. La paix sera probablement mieux gardée entre les deux camps qui s’observent, qui sont de force à se faire respecter !

Ce qu’il y a de plus curieux, c’est l’impression multiple, confuse, assez contradictoire, laissée un peu partout par ce qui vient d’arriver