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partout des plus vives, non-seulement entre libéraux et conservateurs, mais entre conservateurs, entre catholiques et protestans antirévolutionnaires, les uns adversaires acharnés, les autres partisans de la réforme militaire. Les scissions se sont multipliées entre les alliés de la veille. Qu’en est-il résulté ? Les proportions des partis se sont trouvées brusquement modifiées. Jusqu’aux dernières élections, dans une chambre de 100 membres, les libéraux étaient au nombre de 55, la majorité ministérielle comptait 55 catholiques ou antirévolutionnaires. Aujourd’hui le scrutin a tout changé. Ce sont les libéraux qui sont au nombre de 55 dans la chambre nouvelle, ce sont les conservateurs qui se trouvent réduits à n’être plus qu’une minorité composée de 25 catholiques et 20 antirévolutionnaires. Les plus grandes villes, Amsterdam, Rotterdam, La Haye, ont singulièrement contribué à la victoire libérale. Les divisions des conservateurs ont fait le reste. Un des chefs les plus éminens des catholiques, le docteur Schaepman, a eu de la peine à être élu. Voilà la situation parlementaire que les élections ont créée et où un changement de direction politique devient inévitable, quoiqu’il ne paraisse pas être sans difficulté.

Les circonstances n’ont rien de pressant, à la vérité, puisque la chambre nouvelle ne se réunit que le mois prochain et que la Hollande est un sage pays où les crises ministérielles se déroulent avec une paisible lenteur. La nécessité de remplacer le ministère Mackay ne reste pas moins évidente, et c’est là justement que commence l’embarras. Au premier abord, sans doute, tout paraîtrait assez simple ; la solution serait dans la situation même. Les libéraux qui ont depuis longtemps perdu le pouvoir retrouvent aujourd’hui une majorité ; ils sembleraient naturellement désignés pour reprendre la direction des affaires. Seulement, les libéraux ont un programme où ils ont inscrit des réformes économiques, une réforme électorale, sans compter la réforme militaire qu’ils seront obligés de reprendre, et il n’est pas sûr que le jour où ils essaieront de réaliser leur programme, ils ne verront pas à leur tour leur majorité se décomposer. C’est là le point délicat. Jusqu’ici, la régente, la reine Emma, a successivement appelé en consultation M. de Heemskerk qui a autrefois dirigé un ministère d’affaires, M. Tak van Poortvliet qui est un des chefs du parti libéral, puis le bourgmestre d’Amsterdam, M. Van Tienhoven qui est un libéral modéré. Elle a écouté tout le monde, même ceux qui lui auraient peut-être conseillé de ne rien faire, d’attendre, de garder au moins provisoirement le ministère conservateur de M. de Mackay. La reine-régente est restée dans son rôle constitutionnel, remplissant ses devoirs sans se hâter, sans rien brusquer, sans se départir surtout d’une prudente réserve. Elle aurait eu peut-être ses préférences, elle n’a pas cherché à les imposer. Le plus vraisemblable est que cette crise, née des élections hollandaises, finira par un ministère qui réunirait M. Van