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LA MADONE DE BUSOWISKA.

de sorte que l’on pouvait aisément les compter tous les vingt-quatre jusqu’au dernier, ainsi que le fit observer judicieusement le maire Sennyson, qui était un peu pédant de sa nature.

Makohon, le bedeau de l’église brûlée, avait en art des aperçus plus larges, il ne s’arrêtait pas à ces détails mesquins d’exécution. Pour lui, c’était l’idée, le sujet, qui était tout ; aussi était-ce avec une persévérance inouie qu’il cherchait à découvrir dans le tableau ce fameux grain de sénevé dont on avait tant parlé. Mais, après une heure d’application soutenue, il fut forcé de convenir, à sa honte, qu’il ne l’avait trouvé nulle part. Le comité artistique retourna à Busowiska, très satisfait de lui-même et émerveillé des splendeurs qu’il avait vues ; aussi n’y eut-il bientôt plus qu’un cri dans la commune pour appeler l’auteur de tant de chefs-d’œuvre, et lui confier la décoration de l’église.

Auparavant, il fallait cependant réunir les honorables donateurs afin de savoir au juste sur quels dons la fabrique pouvait compter. On annonça en conséquence à tout le village que ceux qui désiraient faire une offrande devaient se réunir tel jour, à telle heure, dans la nouvelle cerkiew.

La séance fut présidée par le pope Tarczanin de la paroisse de Tersow, ainsi que par l’inspecteur des domaines en casquette impériale et en collet à étoiles d’or.

Le dyak Sorok, transformé en greffier pour la circonstance, se tenait devant une table improvisée, la plume d’oie sur l’oreille, et entouré de tous les insignes de sa fonction.

Le maire Sennyson, accompagné de ses échevins, s’assit en face des deux autorités, et la séance commença.

La petite église aux murailles nues et encore luisantes regorgeait de paysans, mais on remarqua avec étonnement que tous ceux qui se pressaient au premier rang étaient justement les moins riches, ceux qui n’avaient rien promis. Les gros bonnets, au contraire, les sérieux donateurs, sur lesquels on avait droit de compter, car ils s’étaient vantés très haut des riches présens qu’ils allaient faire, se dérobaient derrière les autres, ou même n’étaient pas venus du tout.

Un silence morne régnait dans l’église, seuls les pauvres gens relevaient la tête d’un air malicieux, se demandant avec curiosité comment tout cela allait se terminer.

Le pope, fort inquiet de la tournure que prenaient les choses, hochait péniblement la tête ; le maire, décoré de sa brillante plaque officielle, se tournait et se retournait très mal à l’aise sur son siège, et le greffier, la main en suspens, brandissait comme un glaive sa plume ébouriffée et menaçante.

À la fin, M. Krzespel, impatienté, se leva brusquement, et d’une voix de tonnerre :