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d’âme différent venu de la sérénité de sa vie, qu’alors elle se fût non-seulement trompée soi-même, mais qu’elle eût trompé son mari.

Pour la première fois, elle pressentait, avec la certitude du crime, l’angoisse d’une expiation possible. Une ombre gagnait le présent, obscurait l’avenir et le reculait en une nuit impénétrable, grosse d’orages. Elle, encore, par un sens nouveau de justice qui maintenant brillait au fond d’elle-même, dans l’éveil progressif de sa conscience, se fût résignée à expier. Mais, douloureusement, elle entrevoyait la vie de son mari brisée par elle. Les chimères s’envolaient. De même qu’elle s’était ressouvenue, de même Daguerre, sans doute, se ressouviendrait. Qui savait sous quelle injure montée vers lui quelque jour, l’obsession du passé à son tour l’envahirait ? L’amour, flambeau décevant, irradiant les illusions, s’éteindrait ; les fantômes ensevelis surgiraient, et le mirage sublime de la passion laisserait, en s’effaçant, monter la réalité brutale, comme la mer, en se retirant, découvre le hérissement des rocs nus.

Sa douleur, dès lors, ne cessa plus. Quand, lasse d’être écrasée sous le poids de ses remords, un apaisement se faisait, comme si le mal se fût usé de soi-même, elle se sentait déchirée en son cœur de femme aimante par l’épouvante que peut-être son amour fût brisé ; et, lorsqu’elle avait pleuré sur cet amour jusqu’à l’épuisement, son cœur saignait à la pensée du malheur de Daguerre. Elle voyait le souvenir affreux l’assiégeant à son tour, bientôt grandi, devenu indestructible et lui jetant, avec l’horreur de son amour, le désespoir d’une folie commise, la colère de sa vie perdue. C’était un chemin de croix dans lequel elle tournait, sans arrêt, de station en station, continuellement.

Elle regrettait amèrement de n’avoir pas eu le courage, ainsi qu’elle y avait pensé, — car toutes les souffrances qui maintenant lui arrivaient, elle les retrouvait, en germes confus comme des pressentimens, dans ses hésitations et ses refus d’alors, — d’être sa maîtresse simplement. Sa maîtresse, elle lui eût fait honneur par sa triste célébrité, par sa beauté. Il eût été heureux, d’un bonheur sans lendemain ; et elle, de son côté, ne se fût jamais prise à la décevante illusion d’une joie qui ne finirait plus. Daguerre lui apparaissait comme un homme soulevant un rocher qui retombera sur lui et l’écrasera. Cette œuvre de réhabilitation que le monde avait paru subir, vaincu d’un coup d’audace, se retournerait contre elle, contre lui. Elle revoyait leurs relations, leurs amis ; et des faits se montraient à son esprit navré sous un aspect nouveau. Elle trouvait, à présent, des ironies sous les sympathies, un étonnement de son audace, dans les regards où était montée seulement