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On devait donc s’attendre à ce que le ministère Rudini-Nicotera fût un ministère de réaction contre la politique d’alliances. Et, comme pour mieux accentuer cette signification, M. le marquis di Rudini, dans son département des affaires étrangères, s’était doublé d’un sous-secrétaire d’État dont la personnalité était une sorte de gage que cette réaction devrait s’opérer. C’est, en effet, dans ses éloquentes critiques contre la politique d’alliances que M. le comte d’Arco s’est acquis cette réputation d’orateur élégant et persuasif qui fait de lui l’une des individualités marquantes et sympathiques de l’assemblée de Monte-Citorio. En outre, M. d’Arco avait fait sa première apparition à la chambre, il y a quelque douze ans, sous l’étiquette du radicalisme. Si, plus tard, par un sentiment de prudence, il avait cru devoir chercher à atténuer sa nuance politique originaire, il ne l’avait non plus jamais reniée. La place qu’il s’était choisie dans l’hémicycle de Monte-Citorio, aux confins des deux groupes de gauche avancée et de gauche radicale, le disait assez clairement. Aussi lui attribue-t-on généralement, et non sans raisons plausibles, une très grande part dans la paternité du nouveau ministère. Sa double personnalité d’homme du monde frayant avec les cercles aristocratiques auxquels il appartient par son nom comme par sa position de fortune, et d’homme politique solidarisé avec les partis avancés auxquels il tient par ses origines électorales, faisait de lui l’intermédiaire indiqué pour négocier un mariage aussi disparate que celui d’un Rudini et d’un Nicotera. De plus, il tenait dans ses mains la vie du nouveau cabinet par ses relations étroites avec les membres les plus ardens et les plus autorisés du groupe de l’extrême gauche.

Ce groupe, comme l’on sait, avait été le véritable ouvrier de la chute de M. Crispi. La guerre acharnée, incessante, qu’il faisait à ce ministre l’avait forcé à se jeter dans les nombreuses inconséquences qui ont marqué les derniers temps de son pouvoir. C’est pour échapper aux effets de cette lutte de tous les instans, qui le minait dans l’opinion, que celui que l’on a surnommé le Dictateur s’est fait voir, selon les circonstances, sous les aspects si divers de partisan passionné de la conciliation avec le pape et d’adversaire acharné du Vatican, de francophobe et de francophile, d’irrédentiste et d’anti-irrédentiste, de libéral et d’archi-autoritaire ; si bien qu’un jour, déconsidéré politiquement, le terrain lui a manqué sous les pieds.

Mais ce n’était pas tout que d’avoir vu tomber M. Crispi dans l’effervescence d’une séance parlementaire tumultueuse et d’avoir ramassé son héritage sur ce champ de lutte où il avait succombé. Il s’agissait maintenant de vivre et de demander pour cela des moyens d’existence à cette chambre composée d’élémens si