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j’ai faites, si elle nous donne son vote, elle nous le donnera sachant que nous ne sommes pas disposés à transiger avec elle. »

L’extrême gauche resta néanmoins fidèle aux déclarations de M. Cavallotti, en grossissant de ses voix la majorité du gouvernement, qui obtint 254 voix contre 96 ; — 46 députés s’abstinrent. Ces 96 voix, c’était toute la « gauche historique, » moins une vingtaine de députés groupés autour de M. Nicotera. C’était tout ce qui restait d’adhérens à M. Crispi et à M. Zanardelli, après les écrasantes majorités du temps passé ! Quant à l’extrême gauche, la persistance de ses votes ministériels s’expliquait par sa crainte de la possibilité d’un retour offensif de M. Crispi.

Cette terreur de l’imminence du retour au pouvoir de leur prédécesseur, les nouveaux ministres l’avaient exploitée très habilement depuis le jour de leur avènement. Dans leurs conversations intimes, ce qu’ils s’appliquaient à démontrer, c’est que s’ils ne parvenaient pas à grouper autour d’eux une majorité suffisante, ils tomberaient dès les premières semaines de leur existence, et M. Crispi serait rappelé, — M. Crispi, dont personne ne voulait plus, effrayé que l’on était du tour violent et dangereux qu’il avait donné à la politique extérieure du royaume. Avec ses successeurs, en admettant même que l’on se trompât sur l’intention cachée qu’on leur supposait de travailler à la dissolution de la triple alliance, on se disait que l’on pourrait du moins toujours compter sur des pratiques diplomatiques modérées, amicales pour la France, et exclusives des incidens qui, dans le passé, avaient mis quotidiennement la paix en péril.

On commençait, en effet, à avoir des doutes sur les projets prêtés aux nouveaux ministres contre la triple alliance. L’on doutait à cause de la persistance de leurs vagues déclarations, malgré le besoin absolu qu’ils avaient de renouer des relations d’affaires avec la France, — d’affaires financières bien plus encore que d’affaires économiques, dont ils étaient disposés à faire leur deuil tant que les nouvelles lois douanières ne seraient pas votées par le parlement français. Or les besoins du trésor étaient urgens au point d’inspirer des préoccupations graves sur les moyens de payer le coupon de juin, — nous touchions au mois d’avril, — et, d’autre part, il semblait évident que le marché financier de la France se rouvrirait difficilement aux besoins du trésor italien tant que la politique italienne n’aurait pris une allure plus nette ; tant que l’esprit français pourrait craindre qu’en aidant financièrement l’Italie, la finance française l’aidât à faire militairement œuvre plus efficace d’alliée des ennemis de la France.

À ce point de vue spécial de la finance aussi, les nouveaux ministres s’appliquaient à exploiter le fantôme crispinien. Ils disaient,