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aux Anglais pour lui opposer un autre corps de 40,000 hommes. Cela pour les armées de terre. Quant à l’action maritime de l’Angleterre du côté des Indes, elle présenterait également de très graves difficultés ; car la Russie, selon les mêmes écrivains, s’est appliquée à réunir dans le nord du Pacifique des forces navales bien autrement imposantes que celles que représentent ses escadres européennes. En tout cas, la possibilité de la coopération de la France, dans une guerre soutenue par la Russie, rendrait peu sûre la voie de Suez et forcerait peut-être l’Angleterre à ne communiquer avec ses possessions des Indes que par la longue et difficile route du Cap.

Il faudrait donc de toute nécessité à l’Angleterre des diversions sur terre comme sur mer. Sur terre, la diversion favorable à l’Angleterre peut se produire, en Asie, par la Chine, dont il est très difficile d’apprécier les moyens d’action, en Europe par l’Allemagne et l’Autriche. Quant à une diversion turque, elle semblerait peu probable ; tout ce que l’on peut savoir des opinions du sultan donne à penser qu’il serait difficile de l’arracher à une attitude de prudente neutralité. Resteraient les états secondaires, Scandinaves ou danubiens, desquels la Russie aurait probablement plus à espérer qu’à craindre. Or l’éventualité d’une diversion austro-allemande ne paraît pas beaucoup inquiéter les Russes. S’ils doivent se borner à une attitude défensive contre l’Allemagne, tandis que leur principal effort devrait se porter, d’une part, vers les Indes, de l’autre, vers l’Autriche, leur position naturelle et leurs places fortes de la frontière paraissent devoir leur « permettre toujours d’user la patience germanique. » En attendant, l’Allemagne devra y immobiliser au moins 200,000 hommes[1], qui lui manqueront soit dans le choc auquel elle doit s’attendre simultanément avec les forces françaises, soit dans son effort pour défendre l’Autriche ; car l’Autriche, livrée à ses seules forces, ne paraît pas pouvoir résister sérieusement à une guerre d’invasion russe. La Russie, quand même elle serait en même temps occupée en Asie, pourrait disposer de forces telles contre l’Autriche, que l’écrasement de cette puissance semblerait inévitable. Un écrivain anglais[2] estime que l’artillerie russe est deux fois et demie à trois fois plus forte que l’artillerie autrichienne. Quant à la cavalerie russe, elle serait, selon le même écrivain, plus forte que la cavalerie allemande et la cavalerie autrichienne réunies, « trois fois plus forte, ajoute-t-il, que celle de

  1. M. de Bismarck a dit « 1 million d’hommes » dans son discours précité du 5 février 1888.
  2. Sir Charles Dilke, l’Europe en 1887.