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Le monde entier était pour ainsi dire leur demeure ; la terre formait, sous leurs pieds, un parquet couvert d’un tapis aux mille couleurs ; les arbres, les montagnes étayaient le toit céleste au-dessous duquel ils dormaient ; mais, dans cette vaste maison, il y avait partout et en tout temps une chambrette à eux. Tantôt elle consistait, au sein de la forêt éternellement bruissante, et dont le murmure ne s’apaise jamais, en une petite maison verte, incrustée de l’or du soleil et envahie par l’odeur de la résine ; tantôt en une tente d’épines jaunes où voltigeaient, çà et là, de petits oiseaux cherchant de la nourriture pour leurs petits, ou en une chaumine près de l’enclos d’un village où le coq salue le jour renaissant, ou enfin c’était, sur une place tranquille de la grande ville, leur propre voiture, au-dessous de laquelle ils avaient étendu de la paille, qui de son ombre bienfaisante les abritait des intempéries du temps.

Peu à peu, cependant, la charrette se vidait, tandis que se gonflait la sacoche, car elle et lui ont besoin de bien peu pour vivre. Quand il s’arrête en quelque endroit, Bozidar s’en va de maison en maison avec sa poterie, ses souricières, son fil de fer et ses outils, et Bozena fait des achats, allume un petit feu près de sa charrette pour y préparer le peu de nourriture qu’il leur faut : des pommes de terre, des pois, des haricots avec une tranche de lard ; et, les dimanches, un peu de viande.

Un jour, en traversant les montagnes de la Bohème, en route pour la Bavière, ils rencontrèrent, au milieu d’un sombre ravin, un Slovaque, comme eux marchand ambulant drouineur. C’était un beau garçon, aussi beau et intelligent que Bozidar, portant le chapeau rond à bords larges garni de plumes de paon. Ils se saluèrent et résolurent de faire route ensemble ; mais ce n’était pas pour longtemps. Le beau compatriote, qui s’appelait Frantichec Sloparak, était un jeune étourdi et espérait attraper avec ses souricières aussi bien les jeunes et jolies femmes que les souris.

Un jour donc que Bozidar raccommodait en ville des marmites et des poêles, Sloparak revint à l’improviste, car il se trouvait que son cœur était pareil à quelqu’un de ces pots télés, et il s’attendait à ce que la belle Bozena exerçât sur son cœur l’art dont elle avait fait preuve en raccommodant un chaudron. Mais la jeune femme le repoussa, grave et décidée ; et, lorsqu’il l’enlaça quand même de son bras et l’embrassa dans le cou, elle brisa sur la tête de l’audacieux un pot de terre glaise et se mit à rire quand il fit sa retraite, inondé de sang.

— T’ai-je assez plumé, moineau impertinent ! lui cria-t-elle ; et, en effet, elle gardait dans sa main quelques plumes de paon du chapeau.