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Villèle restait maître de la situation, et comme pour mieux marquer son ascendant, il n’écoutait ni ceux qui lui demandaient de rappeler M. de Montmorency sous prétexte que ce serait amortir d’avance l’opposition de M. de Chateaubriand, ni ceux qui lui proposaient M. de Polignac ou M. de Talaru ou M. de Caraman. Il prenait son temps quelques semaines de cet été de 1824, pour faire son choix. Il finissait par placer un homme aussi insignifiant qu’honnête, le baron de Damas, aux affaires étrangères, M. de Clermont-Tonnerre à la guerre, M. de Chabrol à la marine : il se croyait obligé d’accorder à la faveur de Mme du Cayla le ministère de la maison du roi pour le duc de Doudeauville, — en refusant de satisfaire les ambitions étourdies de M. Sosthènes de La Rochefoucauld, qui aspirait à tout, même au ministère de l’intérieur; il préparait en même temps la création d’un ministère des affaires ecclésiastiques où il allait placer un prêtre qui passait pour éclairé, l’évêque d’Hermopolis, l’abbé de Frayssinous. Et tout cela balancé, équilibré, c’était encore le ministère Villèle, assiégé d’influences sans doute, difficile à remplacer !


IV.

On touche ici à ce qui pourrait être considéré comme le point culminant de la Restauration, représentée par un ministère ou un chef de ministère qui passait sa vie à administrer avec prudence, à discipliner les royalistes sans céder à tous leurs entraînemens, à pacifier les intérêts en les ralliant aux Bourbons. Si la monarchie renaissante avait passé depuis dix ans par bien des alternatives dramatiques; si elle avait eu de mauvais jours, des luttes violentes d’opinions, des crises de cour, de ministère et de parlement, des épreuves sinistres, des momens enfin où l’on doutait de sa durée, elle semblait désormais sortie de la phase des contestations et des incertitudes. La monarchie paraissait affermie ! la guerre d’Espagne lui avait donné le lustre des armes et avec le succès militaire une autorité nouvelle en Europe. A travers tout, l’alliance de la royauté et des droits populaires par la charte avait été maintenue. Les conspirations avaient été découragées. Les finances réorganisées, le crédit relevé, la prospérité publique croissante, attestaient et fortifiaient la paix intérieure. Les dernières élections, qui dataient du commencement de1824, avaient fixé définitivement la majorité au camp royaliste ; l’opposition libérale, décimée par le scrutin, réduite à une insignifiante minorité, bien que comptant toujours pour la discussion, ne pouvait plus être une menace. M. Royer-Collard lui-même le reconnaissait, en disant à la chambre nouvelle : « Vous entrez dans cette enceinte précédés de circonstances