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défi, un pas de plus dans une voie où tout s’aggravait pour le roi, qui épuisait sa provision de popularité, pour le ministère qui s’usait dans des luttes irritantes et stériles, — où les oppositions seules grandissaient, tourbillonnant autour d’un gouvernement embarrassé de ses propres œuvres.


V.

Ces oppositions étaient de diverse nature : elles allaient du libéralisme impatient de combat au royalisme le plus exalté, — et la plus dangereuse pour le ministère était peut-être encore dans sa propre armée, parmi les royalistes, les uns passés décidément à l’ennemi, les autres incertains et inquiets dans leur fidélité. Ce n’est pas que M. de Villèle fût précisément ébranlé dans son ascendant. Il gardait toujours sa majorité dans le parlement, — sinon à la chambre des pairs, qui restait un foyer d’opposition, — au moins dans la chambre des députés; il la retrouvait dans les momens difficiles. La confiance du roi ne lui manquait pas non plus dans les crises qui se succédaient pendant les premières années du nouveau règne. Le roi ne cessait de lui écrire à l’occasion de tous les incidens dont il était assailli : « Songez que vous êtes nécessaire à mon service et que vous devez, en vous conduisant avec la prudence dont vous donnez tant de preuves, faire tout ce qui est nécessaire à votre délicatesse et à votre considération[1]. Comptez plus que jamais, mon cher Villèle, sur ma confiance et mon amitié! » — « Tout ce que je puis vous dire, lui écrivait-il un autre jour, c’est que je ne manquerai ni de fermeté ni de courage, et qu’avec l’aide de Dieu on peut vaincre les grandes difficultés du moment... En tout je veux tout connaître, et je m’en rapporte à vous pour ne me rien laisser ignorer... ) C’était fort bien. En réalité, néanmoins, l’incohérence se mettait dans l’armée ministérielle et les intrigues s’agitaient autour du roi. En se compromettant pour son parti par des concessions que sa raison désavouait, M. de Villèle n’était plus même sûr d’être soutenu jusqu’au bout. On l’accusait de mettre de la faiblesse et de la timidité dans sa politique, de livrer le roi à ses adversaires, de tout sacrifier à ses préférences pour des collègues insuffisans comme Corbière, devenu

  1. Il s’agissait des éternels marches Ouvrard et d’une discussion violente qui s’était engagée à la chambre, où M. de Villèle, pour se dégager entièrement, n’aurait eu qu’à se servir d’une lettre que le duc d’Angoulême lui avait écrite au début de la guerre d’Espagne, que le prince l’avait autorisé à produire. M. de Villèle, par délicatesse, ne s’était pas servi de l’autorisation qu’il avait reçue et s’était tiré d’affaire tout de même, en dépit de l’opposition royaliste qui s’efforçait de se servir du prince contre le président du conseil.