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dans ses polémiques les hardiesses des plus violens libéraux. Ce guerrier de la plume était un merveilleux artiste, surtout un homme d’imagination qui maniait une arme étincelante et semblait prendre plaisir à pulvériser ses adversaires, sans s’inquiéter si les coups qu’il frappait n’allaient pas atteindre au-delà ou au-dessus de l’objet de ses haines, si, en travaillant d’un si beau zèle à ruiner un homme, un ministre, il ne préparait pas la ruine de la monarchie elle-même. Le l’ait est qu’il livrait en ce temps-là bien des batailles meurtrières pour cette royauté bourbonienne dont il se flattait d’avoir été le premier restaurateur par un pamphlet en 1814 !

L’art ou le secret de ce puissant polémiste était de cacher sous un royalisme d’ostentation et d’apparat ce qu’il y avait de révolutionnaire dans ses attaques contre la politique du règne, ce qu’il y avait de puéril dans les emportemens et les révoltes de son orgueil ulcéré. M. de Chateaubriand avait certes trop d’éclat, de talent, pour ne pas saisir les esprits et remuer l’opinion; il avait un accent trop personnel dans ses colères pour ne point éveiller des défiances. Lamartine, qui ne l’aima jamais beaucoup et n’en fut jamais aimé, qui était alors à Florence et voyait les choses de loin, écrivait à cette époque à son ami M. de Virieu : « Je ne vois rien de praticable dans le royalisme de l’extrême droite, La Bourdonnaye, Hyde, Delalot : ces hommes n’ont pas de queue dans la nation. Ils sont une fiction de l’esprit de parti. Chateaubriand est un intrigant en déroute; transfuge des deux camps et perfide politique. Il faut lui fermer la bouche avec un sceau d’or ; il ne s’est montré digne que d’une telle récompense. Il pouvait mériter le pouvoir et la gloire, il les a sacrifiés à une haine puérile... » C’était dur de poète à poète ; ce n’était que trop vrai sur le fond des choses. Quelque brillante qu’elle fût en apparence d’ailleurs, cette opposition ou cette contre-opposition, réduite à elle-même, n’aurait peut-être pas suffi à ébranler M. de Villèle : elle serait restée la « défection ! » Par le jeu des circonstances, elle prenait un caractère qui pouvait lui donner une importance nouvelle. D’un côté, elle gardait des affinités avec le monde royaliste dont elle flattait les passions et les ardeurs impatientes ; elle pouvait devenir un point de ralliement pour les ministériels désabusés qui commençaient à se détacher de M. de Villèle. D’un autre côté, par M. de Chateaubriand et ses hardies polémiques, elle allait rejoindre les libéraux empressés à accueillir un tel auxiliaire, à l’attirer par leurs flatteries, à se servir de sa popularité comme des divisions des royalistes pour leur propre cause.

Au fond, c’est au camp libéral qu’était la véritable opposition avec ses mots d’ordre et sa politique. Elle était bien autrement sérieuse,