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la nationalité galloise, en englober dans la masse britannique les élémens séparatistes. La préoccupation de ces princes fut de placer à la tête de l’église locale des évêques étrangers au pays, hommes de paille ou hommes d’affaires, dont ils avaient escompté l’obéissance et qui n’hésiteraient pas à sacrifier, au besoin, le bien de leurs ouailles aux désirs et aux conceptions de la couronne. Non-seulement on n’exigeait pas d’un prêtre qu’il parlât le dialecte de la principauté, mais le fait seul qu’il le connût faisait obstacle à sa candidature. Il fallait avant tout un clergé docile, dont il n’y eût pas lieu de craindre qu’il s’associât de trop près aux vœux des fidèles. Il ne restait à ces derniers, pour se défendre, que le recours à leurs protecteurs naturels, c’est-à-dire aux chefs indépendans qui du milieu du XIe siècle jusqu’à la fin du XIIIe ont gouverné le pays. Sous Henri III, une protestation est adressée au pape par le prince régnant de Galles, document curieux qui retrace avec une éloquence touchante les griefs de la population opprimée :

« Et tout d’abord nous nous plaignons que l’archevêque de Canterbury envoie à la tête de nos diocèses des évêques anglais, ignorans de notre langue et de nos usages et ne pouvant, en conséquence, prêcher et confesser qu’au moyen d’interprètes.

« Hélas! ce n’est pas tout. Les prêtres n’éprouvent pour notre patrie que des sentimens d’éloignement, presque de haine. Ils se désintéressent du salut de nos âmes, et n’ont au cœur d’autre ambition que celle de nous dominer. Trop rarement ils daignent accomplir parmi nous les devoirs de leur ministère. Nous serons bientôt dépouillés de tout, à la façon dont on voit qu’ils s’enrichissent. Ils transportent en Angleterre, consomment et dépensent dans les abbayes et les terres qu’ils tiennent de la générosité du monarque, les biens de toutes sortes qu’ils ne cessent de nous ravir. Semblables à ces Parthes perfides dont le dernier trait à l’ennemi était toujours le plus meurtrier, ils se retournent et, du pays voisin, lancent sur nos têtes l’excommunication redoutée.

« Malheur à ceux qui prennent les armes pour se défendre contre l’invasion des Anglais! Leurs champs, leurs maisons, leurs fermes sont placés sous interdit par le seigneur archevêque. Que de misères et de ruines! Ceux d’entre nous qui succombent, le fer à la main, dans les plaines ensanglantées, emportent au tombeau la malédiction des ministres du ciel. »

Et vox clamabat in deserto. Les gémissemens de la malheureuse population galloise n’éveillaient au-delà des Alpes aucun écho. Elle n’était pas au bout de ses peines. Elle avait à traverser bien d’autres épreuves avant d’arriver à une époque de parlementarisme