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moine d’énumérer les quatre évangiles, les quatre vertus cardinales, les quatre sens (le toucher, qui ferait cinq, est écarté par lui dédaigneusement) ; les quatre élémens. Les réalités sensibles sont ici des symboles parfois bien compliqués : le feu répond à la prudence « qui s’élève comme lui, » la terre à la justice ; l’évangile de saint Mathieu contient la figure mystique de la terre et de la justice, puisqu’il explique plus clairement que les autres la substance corporelle du Christ incarné ; la vue et l’ouïe signifient l’intelligence, l’éther et le feu. Puis nous apprenons que le fleuve qui sort de l’Éden se partage en quatre rivières, figures des vertus cardinales; celles-ci sont exprimées encore par les quatre époques du monde, les âges d’Abel, d’Abraham, de Moïse et de Jésus. Il est heureux pour Glaber que la chronique de la chrétienté, au moment où il l’aborde, ne lui montre que deux groupes considérables de faits auxquels se rattachent les destinées de l’Occident : en France, la fin de la dynastie carolingienne et l’entrée en scène des Capétiens, en Allemagne, la constitution de l’empire des Ottons. La divine quaternité, qui menaçait de tout brouiller, est brusquement délaissée par Raoul; il se livre, sans se préoccuper plus longtemps des fleuves du paradis terrestre, à la contemplation de l’histoire. Mais en cet esprit monacal, troublé sans cesse par la fièvre propre aux illuminés, l’histoire elle-même s’imprime non comme une suite de notions acquises par la réflexion, mais comme une série de visions tristes répondant à l’aspect et à la marche des choses extérieures. Aux misères d’un siècle affreux il devait ajouter l’effarement de son imagination et l’angoisse de son cœur, et l’histoire qu’il nous raconte apparaît comme l’évocation d’un mauvais rêve.


III.

La sensation qu’il en reçoit ressemble beaucoup à l’émotion de quelque fidèle du XIIe siècle assistant aux premiers essais du drame sacré. Pareil à la scène des vieux Mystères dressée dans l’ombre des cathédrales, le théâtre de sa chronique est à trois étages, le paradis, la terre et l’enfer, et la moralité de la représentation qu’il nous rend est dans la mesure d’obéissance que les personnages, princes, évêques, papes, moines ou docteurs, accordent soit à Dieu et à ses anges, soit à Satan et à ses démons. Il arrange ainsi l’histoire d’après une poétique de théologien. Gerbert, écrivant au pape Jean XIV, avait dit un mot remarquable pour le Xe siècle : — « Dans les choses de l’action, l’humanité tient le premier rôle, la divinité ne vient qu’après ; dans la spéculation pure, c’est Dieu qui est le premier. » — Glaber prend tout à rebours la doctrine de Silvestre II : ses acteurs humains, alors même qu’ils