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Benoît IX, qui, de sa tour de Tusculum, couvait Rome du regard. L’empereur repassa les Alpes ; le pape impérial fut empoisonné et, pour la quatrième fois, en octobre 1047, le pontife démoniaque monta sur le siège de saint Pierre. Il régna encore huit mois et neuf jours et s’enfuit à l’approche de Boniface, comte de Toscane, dont l’armée apportait un nouveau pape allemand, Damase II. Ce fut sa retraite définitive. Il avait alors vingt-six ans, et l’histoire n’a plus rencontré son nom à partir de ce jour. Les basiliens de Grotta-Ferrata, toujours fidèles au lointain souvenir des tyrans de Tusculum, racontent qu’il s’ensevelit dans une cellule de leur couvent et mourut en odeur de sainteté. A l’appui de cette légende, ils montrent, dans leur cloître, la pierre sous laquelle dort, à l’ombre des buissons de roses, attendant le jour formidable du jugement, celui qui fut le pape Benoît IX.


V.

Raoul Glaber, qui vivait certainement encore dans les premiers mois de l’année 1049, a vu se dérouler, jusqu’à la fin du dernier acte, cette tragédie pontificale. Il s’est arrêté deux lois à la personne de Benoît, toujours à propos du fléau de la simonie ecclésiastique. La première fois, il cite en soupirant le mot de l’Écriture : Malheur à la terre ! (Vœ tibi terrœ!) La seconde, il écrit sur ce pape ces quelques mots : « Il était entré d’une façon malheureuse, il sortit plus malheureusement encore. C’est une chose trop horrible de rapporter l’infamie de sa vie. » Puis il se hâte de mentionner, en trois paroles, Grégoire VI, « un saint homme, » et clôt brusquement sa Chronique sur l’année 1044. Le pauvre moine, frappé d’une terreur superstitieuse par l’abomination qui s’étale sur la chaire apostolique, n’a pas le courage d’aller plus loin et de rendre à la postérité les dernières scènes de l’infernal mystère; il laisse tomber sa plume, s’agenouille éperdu dans la nuit de sa cellule et se demande si l’Église est maudite et si Dieu est mort.

Gerbert, lui aussi, avait souffert des scandales du saint-siège et les avait flétris avec plus d’énergie encore que Glaber. En 984, sous Boniface VII, il s’était mis en route pour Rome, mais avait bientôt rebroussé chemin, et il écrivait à un diacre de la curie pontificale : «Le monde a horreur des mœurs des Romains. En quel état est Rome! Quels hommes sont aujourd’hui les maîtres de l’Église! » La même année, il avait écrit de Bobbio à l’abbé de Saint-Géraud d’Aurillac : « L’Église va périr, l’Église va périr, mon père. C’en est fait de la société humaine. Le sanctuaire de Dieu est envahi. » A chaque instant, dans ses lettres, il montre la tristesse