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En même temps, les récentes grèves et les abus des syndicats ouvriers jettent quelque trouble dans l’opinion. Les esprits les plus pénétrés du vieil optimisme libéral s’aperçoivent que la démocratie souffrante, qui est aussi la démocratie militante, a des manières violentes de vouloir, sans trop savoir toujours ce qu’elle veut. Ses exigences sont jugées brutales ou intempestives, comme s’il était tacitement entendu jusqu’ici que les promesses électorales devaient indéfiniment suffire à la satisfaire. « Si c’est possible, c’est fait; si c’est impossible, cela se fera, » disait à sa souveraine un ministre courtisan de l’ancien régime. Le quatrième État, qui se sentait d’abord flatté d’entendre à son tour un pareil langage, ne se paie plus aussi aisément de ces lettres de change en blanc, tirées sur l’inconnu. Il réclame une monnaie de poids. A l’impatience succèdent l’irritation, les menaces, voire les désordres matériels qui ne sauraient être tolérés. On est forcé de réprimer énergiquement d’une main ; il faudrait pouvoir donner généreusement de l’autre. Voilà le problème.

La loi sur les retraites ouvrières contribuera-t-elle à le résoudre? Nous voudrions le croire. N’est-elle destinée qu’à entretenir les illusions vitales dans l’âme des travailleurs, dont on désespère d’atténuer les infortunes présentes par des remèdes ou des palliatifs immédiats? Le plus clair bénéfice du projet ministériel, ses auteurs en conviennent avec une modestie méritoire, paraît être de provoquer officiellement les discussions de la tribune et de la presse sur des questions de première importance, qu’il est temps de prendre au sérieux, pour n’avoir pas à les prendre plus tard au tragique.

Nous sommes poussés au pied du mur socialiste. Comment le franchir, le tourner ou le percer? Ne pourrons-nous pas plutôt parvenir à l’utiliser pour compléter l’édifice existant? Cela dépend beaucoup du bon vouloir et de la modération de tous. Pourquoi quelque idée utile ou quelque solution partielle ne surgirait-elle pas des controverses loyales? Même les négations stériles en apparence ont au moins l’avantage de déblayer le terrain et d’indiquer les dangers, déjà signalés d’ailleurs.


I.

La pensée louable d’assurer des moyens de subsistance aux vétérans du travail date de loin. Elle a inspiré de nos jours plusieurs propositions analogues. On sait que l’Allemagne nous a devancés dans le domaine de l’application. Le Reichstag votait naguère en faveur des ouvriers âgés de soixante-dix ans une loi d’assurance contre les infirmités et la vieillesse : la pension annuelle