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projet de retraites. L’afflux permanent des capitaux, le mouvement colossal des fonds à manier et à faire valoir offriraient trop de facilités périlleuses aux emprunts déguisés, aux manœuvres de trésorerie, aux subtilités budgétaires, qui donneraient à nos finances les dehors illusoires d’une prospérité inouïe. Quel magnifique tableau de recettes on pourrait dresser, sans rien demander à personne, du moins en apparence ! Tout le secret est là. Bien habiles seraient les pouvoirs législatif et judiciaire qui ne se laisseraient pas aveugler par ce feu d’artifice financier et qui réussiraient à contrôler, en temps utile, la comptabilité spécieuse de l’exécutif. Les députés paraissent avoir déjà quelque peine à se reconnaître dans le dédale de nos cinq budgets. Pour compléter la demi-douzaine, nous aurions le budget des retraites ouvrières, qui ne serait ni le moins obscur, ni le moins encombrant des six.

Le pire en cette affaire, c’est que chacun, se prêtant aux illusions et aux subterfuges, deviendrait un peu dupe et complice, dans le ministère et le parlement. L’immense caisse à double fond et à compartimens multiples aiderait si bien à sortir d’embarras et servirait si aisément de prétexte ou d’excuse pour céder aux fatalités du moment, voire aux entraînemens des dépenses utiles, que tout le monde subit plus ou moins. Et cela, sans arrière-pensée, ingénument, sous le coup de l’ivresse d’une fortune soudaine et inespérée. A notre époque de déficit rapidement progressif, un ministre résisterait-il longtemps au plaisir glorieux et rare de présenter un budget en équilibre ou en excédent ? Savons-nous d’ailleurs dans quelles mains la direction de nos finances pourrait tomber un jour ou l’autre d’ici à trente années ? Il serait un peu tard alors pour constater la fragilité de ce fantastique monument de richesse fictive. Resterait la note annuelle à payer.

En dépit des meilleures intentions, la richesse réelle et les ressources disponibles d’un pays ne s’accroissent pas par des procédés factices. Les vastes systèmes de retraites, établis sur une accumulation énorme de fonds placés à intérêt, semblent des utopies plus ou moins ruineuses. Pour rapporter quelque revenu, tout capital investi dans une affaire doit être transformé en production et en services lucratifs. Cette transformation exige à son tour que le capital soit absorbé sous forme de main-d’œuvre et de salaires correspondans, puis reconstitué périodiquement avec bénéfice. Pour faire fructifier de nouveaux capitaux, il faudrait donc multiplier le nombre des entreprises, et par suite celui des ouvriers, ce qui augmenterait d’autant la somme des salaires et plus tard la somme des retraites. On élargirait ainsi le cercle des difficultés sans les résoudre. Entre le total des capitaux employés et celui de la production de la consommation, de la main-d’œuvre.