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tout à coup, dit M. Binet, « comme s’il était écrit à la craie sur le tableau noir. » En réalité, le cerveau ou la moelle a senti quelque chose d’indistinct qui n’est pas parvenu à prendre la forme tactile, mais qui a fini par prendre la forme visuelle. L’excitation imprimée à la main, n’ayant pu se dépenser tout entière sur les centres engourdis du tact, a rejailli sur ceux de la vision, et, de sensation tactile indistincte, s’est transformée en sensation visuelle distincte. Ainsi, dans un objet animé d’une grande vitesse, un arrêt subit transforme le mouvement de translation en chaleur et en lumière.

Même explication pour les calculs « inconsciens » des hystériques. La main insensible d’une hystérique est cachée derrière un écran : sans qu’elle s’en aperçoive, touchez cette main un certain nombre de fois ; priez ensuite la personne de penser et de prononcer un nombre quelconque, à son choix. En général, la réponse sera le nombre même des contacts de la main. Faut-il en conclure, comme on le fait d’habitude, que le calcul ait été opéré sans conscience, ou encore par « une seconde personnalité subconsciente? » — Cela n’est point ici nécessaire. La main, quoique en apparence insensible, a envoyé au cerveau des impressions extrêmement faibles, qui ont provoqué une réaction machinale extrêmement faible sous forme d’une numération presque inconsciente. Quand nous sommes occupés à un travail, nous pouvons chanter machinalement, compter machinalement un, deux, trois, quatre; l’hystérique en fait autant sans s’en apercevoir. Au moment où on lui demande de penser un nombre, elle en a déjà pensé un très vaguement. Tout au moins les cellules cérébrales ont vibré comme quand telle série d’impressions amène à sa suite tel chiffre qui la résume. Le mécanisme cérébral du mot quatre ou du mot cinq, qui vient de recevoir un commencement d’ébranlement, est donc plus prêt que tout autre à fonctionner quand la question arrive, et le nombre choisi en apparence au hasard est, en réalité, déterminé par la série des petites impressions antécédentes. L’association des états de conscience faibles entre eux ou avec des états de conscience forts suffit ainsi à expliquer la plupart des états ou actes prétendus inconsciens.


Quand la sensation diminue sur un point, ses élémens doivent se répartir sur d’autres points et l’affaiblissement de la conscience doit avoir, selon nous, pour corrélatif son déplacement. C’est là une nouvelle loi que la psychologie n’a pas encore suffisamment étudiée et qui, croyons-nous, prendra par la suite une importance croissante. Il y a entre les diverses parties du cerveau un commerce, un échange de tensions qui fait que l’activité mentale change