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l’amener à porter un télégramme ; on avait beau lui promettre 20 livres sterling ou le menacer de mort, rien n’y faisait. Le souvenir de sa répugnance pour un métier pris en horreur, ayant acquis l’intensité « monoïdéique, » s’opposait à toute idée contraire que l’hypnotiseur voulait introduire au foyer de la conscience. C’était la volonté sous forme d’idée fixe. Ce qui est aboli dans l’hypnotisme, ce n’est donc pas la volonté au sens général du mot, comme tendance de l’activité au plus grand bien ; c’est l’idée du choix possible pour la volonté, l’idée de liberté. Les hypnotisés ont souvent conscience de la folie des choses qu’on leur fait faire ; ils peuvent voir de fortes objections à l’acte suggéré et ne concevoir aucun motif positif pour l’accomplir, mais, dit M. Gurney, « il ne leur vient pas à l’esprit qu’ils aient le choix[1]. » Les anormalités de la conduite sont proportionnelles à l’affaiblissement de l’idée du libre choix; l’idée de liberté fait donc partie des conditions normales de la conduite : elle est par excellence, comme nous croyons l’avoir montré ailleurs, l’idée-force normale et aussi l’idée-force morale.

Chacun réagit du reste selon son caractère : si on veut faire accomplir à une femme hypnotisée ce dont elle est vraiment incapable en état de veille, un secours lui arrive le plus souvent, comme pendant la veille même, sous la forme d’une crise de nerfs providentielle.

La question de la responsabilité est liée à celle de la volonté personnelle. Les crimes de laboratoire ne sont point sans doute des expériences tout à fait décisives, et la raison en est simple. Si M. Delbœuf ou M. Liégeois endort une jeune fille, la jeune fille sait, en s’endormant, qu’elle va être sous la puissance d’un honnête philosophe ou d’un honnête légiste, qu’elle fera tout ce qu’ils voudront, mais qu’ils ne voudront rien lui faire accomplir de criminel. Elle sait qu’elle va donner un spectacle, jouer des rôles, se prêter à cent folies qui feront rire, — mais, en définitive, il n’y aura rien de mal. Si donc on lui met un pistolet entre les mains et qu’on lui dise de tuer sa mère, elle tirera le coup de pistolet docilement, avec cette arrière-pensée subconsciente que M. Liégeois, professeur de droit, ne peut lui ordonner aucune scélératesse. C’est pourquoi M. Liégeois va beaucoup trop vite quand il conclut de ce fait qu’il a « aboli complètement le sens moral chez une jeune fille honnête. » Non, il a simplement, par sa moralité même, gagné la confiance absolue d’une jeune fille devenue docile à toutes ses expériences. La preuve en est que, la mère « tuée » faisant des reproches à sa fille, celle-ci lui répond avec esprit, au témoignage

  1. Gurney, dans Muind, t. IX, 503.