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en réservant toutes ses faveurs aux groupes d’ouvriers qui s’associent pour faire la loi aux patrons ou aux unions de patrons, syndiqués pour la résistance, en négligeant de poursuivre et de réprimer, comme on l’avait demandé, des actes qui devraient être des délits, elle a souvent pris le contre-pied de la vérité. Elle permet et encourage l’association pour faire la guerre et continue à prohiber celle qui servirait à conclure la paix. Pourtant, telle qu’elle est et malgré ses imperfections, cette loi est encore un progrès, ne serait-ce que par l’autorisation donnée en passant, et peut-être inconsciemment, aux syndicats agricoles, dont le développement a été si soudain et si fécond.

On a même, à plusieurs reprises, fait un louable effort pour aller plus loin. En 1871, une proposition, signée de MM. Tolain, Lockroy et autres, tendant à l’abrogation des articles 291 à 294 du code pénal et de la loi du 10 avril 1834, c’est-à-dire des textes rappelés au début, qui font de l’association un délit, fut soumise à l’assemblée nationale et donna lieu à un rapport très étudié de M. Bertauld, concluant à l’adoption. En 1880, M. Dufaure soumettait aux chambres un projet de loi en quelques articles, rédigé comme il savait le faire, et heureusement inspiré de la législation anglaise. N’était-ce pas lui qui répétait souvent qu’il manquait à notre pays une loi bien faite sur les associations? Le jour où cette loi existera, il sera juste que l’honneur en revienne à sa mémoire : car il en a été le promoteur le plus convaincu, et s’il ne lui a pas été donné de voir la réalisation d’un de ses vœux les plus chers, il l’a pressentie et annoncée. Après lui, un long projet de loi de M. Waldeck-Rousseau, plein de restrictions et de réserves, n’accordant guère que pour reprendre, et ne faisant à la liberté qu’une part strictement mesurée, a encore eu, en 1883, les honneurs de la discussion. Est-il besoin de dire que tous ces projets ont échoué devant une hostilité marquée, le réveil de vieux préjugés, et aussi, il faut bien l’ajouter, de mesquines rancunes de l’esprit de parti? La discussion qui a eu lieu à leur occasion, aux tribunes du parlement, est à lire. Sans les éloquens discours des rares partisans du droit d’association, de celui surtout dont la voix s’élève partout où il y a une liberté à défendre, M. Jules Simon, ils donneraient aux générations du XXe siècle une singulière idée de notre esprit public. Tout récemment, un dernier projet paraît avoir été préparé à la chancellerie: la presse en a parlé un jour ou deux: depuis, il est rentré dans les cartons d’où il ne semble pas devoir sortir de si tôt.

Proche ou lointaine, cette loi se fera, nécessairement, par la force même des choses et le besoin qui en deviendra irrésistible. Il est donc tout à fait à propos de rechercher, dès maintenant, à