Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/880

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’a vu qu’une clause dans l’Acte général de Bruxelles ; celle qui prévoyait la vérification des papiers de bord. C’est le droit de visite! ont dit les adversaires de la convention. À ce mot, tous les cœurs battent; on ne discute plus, on ne comprend plus, on n’entend plus : les ombres des chevaliers tués sur les champs de bataille de Crécy, de Poitiers et d’Azincourt peuplent la salle des séances et l’œuvre de nos plénipotentiaires est balayée.

Qu’est-ce donc que le droit de visite?

Ce droit n’existe ipso facto, sauf une exception admise par le consentement unanime des nations, qu’en temps de guerre. Voici la règle : pour empêcher que les neutres n’abusent de leur liberté commerciale au profit d’un des belligérans, chacun des États en guerre a le droit d’arrêter les navires neutres dans les eaux dépendant de son propre territoire, sur le théâtre de la guerre, dans la partie de la pleine mer que doivent traverser les bâtimens à destination de l’État ennemi et d’examiner s’ils ne transportent pas des articles de contrebande. Voici l’unique exception : même en pleine paix, si l’on a de graves motifs de soupçonner qu’un navire se rend coupable de piraterie[1], tout vaisseau de guerre, à quelque État qu’il appartienne, a le droit de l’arrêter et de le visiter : quand les soupçons sont fondés, le navire est déclaré de bonne prise et peut être conduit dans un port quelconque d’un État civilisé; là les pirates, ennemis permanens de tous les peuples, doivent subir la juridiction du capteur. Jusqu’ici tout le monde est d’accord. Mais quelle est au juste l’étendue de ce droit?

Vattel, dont l’avis est un oracle ou peu s’en faut, s’exprimait au siècle dernier dans les termes suivans : «Nous ne pouvons empêcher le transport des marchandises de contrebande sans faire des perquisitions à bord des navires neutres; nous avons donc le droit de faire des perquisitions. » Même en France, un guide généralement sûr, à la fois officier de marine et jurisconsulte, Th. Ortolan, a pu dire : «Un droit de vérification sur le chargement doit nécessairement être exercé, outre l’examen des papiers, si l’on soupçonne à bord de la contrebande de guerre destinée pour l’ennemi. La coutume internationale autorise cette extension donnée dans certains cas à la visite. D’après cette coutume, si, malgré la teneur des lettres de mer, il y a des doutes fondés contre l’authenticité ou la sincérité de ces lettres, le visiteur peut faire des recherches plus exactes. » Bluntschli, Gessner, en général presque tous les publicistes allemands suivent l’opinion de Vattel. Tel est aussi l’avis de

  1. Sont considérés comme pirates, d’après le droit des gens, les navires, qui, sans l’autorisation d’une puissance belligérante, cherchent à s’emparer des personnes, à faire du butin ou à anéantir dans un dessein criminel les biens d’autrui.