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charbon de terre. L’exemple de la Suisse prouve que ce ne serait pas là un obstacle insurmontable, excepté pour certaines industries métallurgiques. Ce qui nuit surtout à l’Italie, c’est d’un côté ses impôts vraiment excessifs, et de l’autre, le fait que le gouvernement s’est mêlé de vouloir protéger certaines industries qui n’avaient aucun élément de succès dans le pays, et que, pour atteindre ce but, il en a sacrifié d’autres, comme par exemple celle de la soie, qui auraient pu, au contraire, se développer naturellement.

On a fait le calcul de ce que paie une famille d’artisans italiens pour les impôts et pour le renchérissement des objets de consommation qui est une conséquence de la protection douanière, et de ce que paie une famille anglaise. L’on a trouvé pour la première 23,9 pour 190 de sa dépense, et pour la seconde seulement 4,8 pour 100[1].

Cette énorme différence pourrait à elle seule suffire pour expliquer les difficultés que rencontre l’industrie en Italie. M. L’ingénieur Chiazzari a fait voir que la différence des prix de la houille pour les grands ateliers de construction de machines à San Pier d’Arena, en comparaison de ce que paient d’autres ateliers semblables situés dans des pays producteurs de charbon de terre, n’entraîne qu’une surcharge qu’on peut évaluer à 4 pour 100 du total de la dépense en main-d’œuvre. Beaucoup moins, comme on voit, que la surcharge dont se trouve grevée cette même main-d’œuvre par les impôts et par la protection.

Il ne faut pas non plus perdre de vue que l’ouvrier mal nourri travaille peu et fait souvent mal son ouvrage. On a fait à ce sujet des observations décisives dans plusieurs pays.

Les impôts italiens grèvent surtout les consommations de première nécessité. Par exemple, l’impôt sur le sel est énorme. Le gouvernement, qui a le monopole de la vente du sel, fait payer le sel gemme soixante centimes le kilogramme, et soixante-seize centimes le sel raffiné[2] ! Une anecdote à ce sujet en dira plus long que tous les raisonnemens. La petite fille d’un paysan venait souvent

  1. Nous avons publié les détails de ces calculs dans le Journal des économistes. Paris, septembre 1890. Il faut ajouter que beaucoup d’artisans parviennent à échapper à l’impôt sur la richesse mobilière, et, dans ce cas, la somme totale des impôts, etc., se réduit à 18,2 pour 100. En revanche, il faudrait ajouter les impôts sur l’esprit-de-vin, le tabac, et celui du lotto, dont il n’a pas été tenu compte dans les dépenses de la famille italienne. Le chiffre donné dans le texte pour la famille anglaise diffère un peu de celui donné dans le journal cité, parce qu’on a ajouté l’inhabited house duty, qui avait été omise.
  2. Il y a du sel de qualité inférieure qui ne coûte que 0 fr. 35; mais le peuple, en Toscane, où l’on vend surtout le sel gemme, prétend que ce sel à 0 fr. 35 sale beaucoup moins que celui de meilleure qualité (probablement il contient plus d’eau), et qu’il n’y a ainsi nul avantage à l’employer.