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LA MADONE DE BUSOWISKA.

ne durait pas assez longtemps. A peine le prêtre était-il monté à l’autel qu’il était déjà redescendu... C’était court et cher, et Nasta voulait absolument inventer quelque chose qui priât toujours vers Wasylek, et pour Wasylek. — Elle se rappela alors que la Kuniskowa, une grande richarde des environs, ayant vu mourir tous ses enfans les uns après les autres, avait imaginé de faire bâtir une chapelle en l’honneur de la sainte Vierge... — Quelque temps après il lui était né un fils bien portant, qui poussait comme un chêne et la Kuniskowa avait été nommée fondatorka (fondatrice) de la paroisse. Nasta ne prononçait ce mot qu’avec un respect mêlé d’admiration jalouse.

Oui,.. c’était fondatorka qu’elle briguait de devenir, pour la gloire de son Wasylek... Une chapelle,.. il ne fallait pas y songer,.. mais ne pouvait-elle fonder une statue !.. Une statue qui serait justement ce quelque chose priant sans interruption le jour et la nuit pour son Wasylek, car ce serait une prière de pierre, sans compter que tous ceux qui passeraient devant salueraient, se signeraient, pousseraient des soupirs vers le bon Dieu, et tous ces saluts, toutes ces prières, tous ces soupirs iraient naturellement grossir le trésor de Wasylek. Quelle aubaine ! Ce serait à peu près dans le genre de la barrière où se tient le juif Mendel. Tous les chariots qui vont au marché passent devant, paient un droit de passage, et Mendel prend et empile, empile... oui, cette idée était admirable !

Dès lors, Nasta se mit à examiner minutieusement les statues ou autres manifestations pieuses qui se dressaient sur la grand’route. Ici, c’était une gigantesque croix vide dont les longs bras se dressaient vers le ciel, là une minuscule chapelle devant laquelle la flamme d’une veilleuse vacillait. Plus loin, un grand saint Nicolas barbu coiffé d’une mitre ou bien un saint Jean Népomucène en surplis blanc et en barrette noire. Mais ce qui la frappa davantage, c’était un saint Michel ailé de grandeur naturelle, revêtu d’un casque et d’une cuirasse comme un chevalier romain, qui regardait flegmatiquement un dragon, la gueule béante, effondré à ses pieds. Cette statue était très considérée dans le pays, et Nasta, ayant interrogé le sacristain, avait appris qu’une fois l’an, Dyk le forgeron était chargé de veiller aux éperons du grand saint, chef des bataillons célestes, avait-il ajouté.

Certes, de toutes les statues placées sur la route, c’était celle du vaillant archange qui offrait le plus d’affinité avec Wasylek. Quelle gloire d’élever une figure pareille au pied de cette même montagne, où apparaissait jadis la figure aimée de son enfant ! Mais le difficile était d’apprendre où se fabriquaient des statues pareilles ! .. Jamais Nasta n’avait vu ses voisins faire de ces acquisitions-là, jamais non plus, sur aucune foire ni aucun marché,