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LA MADONE DE BUSOWISKA.

s’échappaient en épais flocons d’un vaste chapeau à bords largement relevés, comme en portent les montagnards des Carpathes. Cette tenue lui donnait un aspect à la fois respectable et patriarcal. Il était maigre et sec comme un échalas, avait les traits fins, et ses yeux, très bleus, pétillaient de malice.

Il commença par examiner l’emplacement de l’église brûlée, le trouva excellent. C’était un endroit spacieux, plat comme la main, entouré de tilleuls séculaires, et qui dominait le village.

Klymaszko prit longuement toutes ses mesures à l’aide d’une corde, crayonna sur un petit carnet, planta une grande quantité de petits pieux.

— Bien prendre les mesures, tout est là, disait-il au maire Sennyson. Sans bonne mesure, rien de bon ici-bas.

Il défendit ensuite formellement qu’on touchât à son ouvrage, donna diverses instructions à propos du matériel, et, après avoir bu un coup d’eau-de-vie, s’en retourna chez lui.

Dès cette minute solennelle, il sembla aux habitans de Busowiska que la construction du bâtiment était commencée. Le terrain vide, entouré de ces mystérieux petits pieux, reçut immédiatement la pompeuse dénomination d’édifice, et dès lors chaque habitant de Busowiska se crut en devoir, au moins une fois par jour, d’aller examiner l’cdifice, de sorte qu’à toute heure de la matinée ou de l’après-midi on pouvait voir flâner aux alentours des hommes, la pipe à la bouche, des femmes, le nez en l’air, et jusqu’à des oies étonnées, qui, ayant pris depuis longtemps l’habitude de venir becqueter l’herbe en cet endroit , se voyaient forcées de rebrousser chemin et de chercher pâture ailleurs.

Quelques semaines plus tard, l’enclos cessa cependant de porter vainement le titre d’édifice, et des coups de hache commencèrent à résonner sous les tilleuls ; on entendit le grincement des scies dans le chêne, et les appels bruyans des conducteurs qui déchargeaient les gigantesques troncs séculaires.

Nasta, qui, elle aussi, rôdait curieusement autour du terrain, toujours hantée par son idée fixe, songea qu’il lui serait facile de s’informer auprès de ces travailleurs de ce qu’elle désirait tant savoir.

Elle se mit donc à les questionner adroitement :

— Ça doit être dur de raboter ces grosses poutres ?..

Et eux de lui répondre, à la façon des paysans slaves, par une autre question :

— Oui, c’est dur, et pourquoi ça ne serait-il pas dur ? Mais Nasta, sans se décourager :

— Alors, les pierres, ça doit être encore plus dur ?

— Bien sûr que c’est plus dur !.. cette question !