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guerre entre eux n’en est pas moins déclarée ; elle est dans les esprits, et pour y mettre fin, ce sont les âmes qu’il faudrait pacifier. Dès lors que cet état de guerre existe et que tout annonce qu’il doit persister, la justice exige que les deux adversaires soient mis sur le même pied, que l’un ne soit pas favorisé aux dépens de l’autre. Qu’avons-nous fait, en réalité, quand nous avons octroyé aux ouvriers le droit de se masser en syndicats ? Nous leur avons reconnu la qualité de belligérans que nous leur avions déniée jusque-là. C’est, à peu près, tout ce que l’État et la loi peuvent faire ici pour la justice. Qu’on ne s’y trompe point ; la justice défend à l’État de prêter main-forte à une partie contre l’autre ; elle lui commande de maintenir entre elles la balance égale. L’Etat n’a pas plus le droit de concéder à l’ouvrier des privilèges contre le patron que d’en conférer au patron contre l’ouvrier ; vis-à-vis de l’un, comme vis-à-vis de l’autre, son devoir est de maintenir intacts et les droits de l’individu et les droits même de l’Etat.

C’est là le grand point. Aux associations professionnelles, l’État doit la liberté, toute la liberté ; mais il est deux choses que l’État doit défendre contre les empiétemens des syndicats, deux choses qu’il n’a pas le droit de leur livrer, la liberté individuelle et la puissance publique. Ni l’ouvrier, ni encore moins l’État, ne doivent être asservis aux syndicats. Liberté pour l’individu, liberté pour l’association, telle est, nous semble-t-il, la seule formule équitable, la seule qui donne satisfaction à tous les droits ; si elle ne suffit point à nous assurer la paix sociale, elle peut seule empêcher les luttes de classes d’aboutir à l’oppression d’une moitié de la nation par l’autre. Pas plus que la liberté individuelle, la liberté d’association ne doit dégénérer en tyrannie. Toutes deux, et la dernière davantage encore, ont à la fois besoin d’être soutenues et besoin d’être contenues. C’est à la loi et à l’autorité publique de les faire vivre côte à côte. La liberté d’association a, elle aussi, sa limite dans la liberté d’autrui ; et cette limite, il importe, d’autant plus, de ne pas la lui laisser dépasser que, de sa nature, elle est plus portée aux envahissemens et aux usurpations. S’il fallait payer cette liberté nouvelle du prix des libertés individuelles, ce serait l’acheter trop cher. Individuelle ou collective, toute liberté doit répondre de ses actes et de ses méfaits, devant la loi et les tribunaux ; et pour les associations, comme pour les individus, cette responsabilité doit se traduire, au besoin, par des peines effectives, par l’amende, par des dommages-intérêts, par la prison. Aussi, tout comme M. de Mun, serions-nous, pour notre part, enclin à conférer aux syndicats professionnels la personnalité civile.

Bossuet, dans son traité du Libre arbitre, voulant accorder la liberté de l’homme avec la prescience, ou mieux avec la Providence