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l’Ormée, qui continuaient de l’accabler de leurs félicitations et de leurs adresses[1]. A Paris, il se jette à genoux devant les processions, embrasse dévotement les reliques, les touche avec son chapelet, — c’était alors le moyen de plaire à cette foule qui n’avait pas oublié la Saint-Barthélémy ; — mais l’effet ne fut ni profond ni durable. La réaction, incertaine d’abord, se fait partout, se fait complète ; l’opinion suit souvent la fortune, et la fortune ne semble plus favorable à M. le Prince. Étampes et Villeneuve-Saint-Georges avaient fait oublier Bléneau.

L’état de Paris devenait de plus en plus grave. Depuis six semaines, la ville était souvent anxieuse, agitée ; vivres rares, misère croissante ; cependant les rues conservaient leur aspect ordinaire ; le parlement tenait régulièrement ses audiences ; il y avait des retours de confiance, souvent des fêtes brillantes. Après le départ du Lorrain, tout est sombre et l’aspect menaçant. La licence des gens sans aveu augmente avec les souffrances. Les places, les ruelles s’encombrent de charrettes où s’entassent les paysans chassés de leurs villages par les violences des maraudeurs. Les séances du parlement deviennent tumultueuses ; prenons celle du 23 juin, les Princes présens. On propose une conférence avec la cour ; Broussel combat la motion ; aussitôt Monsieur se trouve mal ; on veut remettre la séance : « Ces remises sont fâcheuses ! s’écrie un conseiller ; car enfin il faut vivre, et moi je manque de pain ! » Cris, colères, échange d’injures, la séance s’achève au milieu de la confusion[2]. C’était l’habitude. Gaston s’en tirait par ses évanouissemens. Cette ressource manquait à Condé, qui, d’abord fort assidu, se fait de plus en plus rare ; il y séchait d’ennui[3] : « Je suis las d’entendre parler de résolutions, de déclarations, de grand’chambre, de cour des aides ou des comptes, d’Hôtel de Ville ; jamais Monsieur mon grand’père n’a été plus fatigué des ministres de La Rochelle. » — L’anarchie est partout. Chaque jour la foule s’ameute à la porte du Palais, sur la place Royale, devant le Luxembourg, poussant des clameurs confuses, insultant, frappant les magistrats. Les conseillers, espérant désarmer cette tourbe, ouvrent des souscriptions au profit des pauvres ; le tumulte redouble. M. de Beaufort essaya d’un singulier calmant : il promit de donner les noms des « Mazarins » que l’on pourrait massacrer à domicile ; un incident l’empêcha de réaliser sa promesse. M. le Prince se jeta plusieurs fois

  1. S. d., 13 mai, etc.
  2. L’abbé Viole à Lenet, 23 juin.
  3. Mémoires de Retz.