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régiment de la Nouvelle-Galles du Sud avaient fini par s’emparer du monopole de cet immoral commerce. La discipline militaire s’en ressentit bien vite, et le gouverneur Bligh, en raison de ses efforts pour arrêter le progrès du mal, se vit immédiatement en butte à l’antagonisme déclaré de ceux sur lesquels il aurait dû le plus compter pour le maintien du pouvoir et la sécurité de l’établissement. Peut-être, exaspéré par l’opposition qu’il avait rencontrée, perdit-il le sang-froid que sa position lui commandait et se laissa-t-il entraîner à des représailles personnelles malheureuses ; toujours est-il qu’il crut nécessaire d’attaquer directement un des hommes les plus influens de la colonie, ce même Mac-Arthur auquel l’Australie est redevable de l’introduction des mérinos et des principales industries pastorales et agricoles, qui font aujourd’hui sa fortune et son avenir. Ce dernier lut arrêté pour désobéissance à un ordre du tribunal formulé contre lui dans une action civile qui lui avait été intentée ; mais les membres de la cour suprême de justice devant laquelle il fut amené, dont la majorité était composée d’officiers appartenant au régiment colonial où Mac-Arthur exerçait les fonctions de capitaine, refusèrent de siéger, laissant à leur président, le magistrat civil Atkins, la responsabilité de maintenir seul l’autorité du tribunal qui l’avait tout d’abord condamné. Agissant, dit-on, sous l’influence d’une haine personnelle, Bligh prit fait et cause pour Atkins et donna l’ordre de maintenir l’arrestation de Mac-Arthur.

Cet acte causa une émotion violente dans la colonie, et la population civile, parmi laquelle ce dernier jouissait d’une grande influence, se joignit à l’élément militaire pour protester contre l’ordre arbitraire du gouverneur. Fort de l’appui de l’opinion publique, le major Johnson, commandant des troupes coloniales, réunit un conseil de guerre dans lequel il lut décidé que la conduite du gouverneur, constituait une atteinte aux privilèges du corps, et que l’exercice arbitraire du pouvoir, dans ces circonstances, mettait en danger la discipline militaire d’où dépendait la sécurité de l’établissement. Au lendemain de ce conseil, Johnson se rendit à la tête de ses troupes au palais du gouvernement et procéda immédiatement à l’arrestation du gouverneur. Bligh fut incarcéré pendant onze mois, tandis que l’affaire était portée devant les autorités métropolitaines, puis renvoyée en Angleterre. Johnson et après lui le lieutenant-colonel Fovaux, commandant supérieur des troupes coloniales, qui se trouvait en Tasmanie pendant ces événemens, et qui approuva entièrement la conduite de son subordonné, dirigèrent l’administration durant cet intervalle.

Cet épisode avait démontré clairement que l’influence de l’élément militaire local, exercée cependant dans un sens strictement