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l’explication du monde ; il compare les théories de Descartes et de Newton, discute la question du plein et du vide, et les hypothèses sur la découverte du feu. Il prescrit des expériences et en fait lui-même ; il a, dans une des tours de Rheinsberg, un observatoire et un cabinet de physique, où il étudie le mouvement dans le vide sous la cloche de la machine pneumatique. Mais c’est une des marques particulières de cette intelligence qu’en se répandant sur toutes choses, elle ne perd jamais de vue certains objets, et qu’elle s’étend sans se disperser. Jamais homme ne fut aussi maître de lui que ce jeune homme et ne régla sa liberté par des lois plus précises : « Je fais tout ce que je puis pour acquérir les connaissances qui me sont nécessaires pour m’acquitter dignement de toutes les choses qui peuvent être de mon ressort. » Il a « son but où il fait tendre toutes les choses extérieures. » Or, à ce but ne conduisaient ni les mathématiques, ni la physique. Il n’est pas né mathématicien, — il avoue que les calculs infinis l’épouvantent et passent ses forces, — et il ne fait pas effort pour le devenir : la géométrie, dit-il, sèche trop l’esprit. Que Clairaut, Maupertuis et La Condamine parcourent donc l’univers afin de trouver une ligne ; que d’autres aillent troubler les glaçons de la Nouvelle-Zélande et les déserts de l’Ethiopie pour y rechercher des nouvelles de la figure du monde : il aimerait mieux, lui, aller tout simplement à Cirey, auprès de Voltaire, faire « sa quête de vérités. » Un moment, il a voulu se mettre à la physique, sur l’invitation de Mme du Châtelet, qui l’a prié de donner à cette science une place « dans son immensité. » Il promet à la divine Emilie de lire les Mémoires de l’Académie des sciences, la Physique de Muschenbrock, la 'Philosophie de la nature de Newton, l’hiver prochain. L’hiver venu, il écrit un livre politique, la Réfutation du Prince de Machiavel. Il entend demeurer sur la planète où il sait qu’il aura fort à faire un jour. Il n’aurait pu supporter en lui la totale ignorance des mathématiques et de la physique, il s’en serait senti déshonoré ; mais il lui suffit de savoir les principes, la méthode et la direction générale de ces sciences et ce qu’elles peuvent apprendre sur l’origine du monde et de la vie. Il est avant tout curieux de l’homme et des choses humaines, et, pour ne point parler encore de la politique, qu’il n’oublie pas un moment, il donne la plus grande part de son esprit aux lettres et à la philosophie.


II

Frédéric demandait d’abord aux lettres d’être agréables. Philosophe, il ne recule pas devant l’austérité des problèmes ; homme