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de ses prédécesseurs n’a connue. Ceux-ci s’étaient approchés de cette liberté peu à peu. L’électeur Joachim avait accru son autorité le jour où il était passé du catholicisme au luthéranisme, car un prince catholique, si puissant qu’il soit d’ailleurs, n’est pas le maître chez lui. C’était le plus grand prince du monde qu’un roi de France, mais il n’était pas en son pouvoir de déplacer une lettre du catéchisme ni de changer un détail du culte, ni un pli des vêtemens liturgiques, au lieu que l’ordre de succession au trône, cette loi fondamentale de la monarchie, fut mis en doute quand l’héritier se trouva être un protestant. Joachim, en se convertissant à la réforme, rédigea le catéchisme de son église, et il régla le rituel des cérémonies et le costume des prêtres comme il l’entendit, car il était le maître chez lui ; il y était clos ; de son église de Berlin, ecclesia mea berolinensis, il était le summus episcopus, l’évêque suprême, le pape en un mot, et il invita « très gracieusement » ceux qui ne se plairaient pas dans cette église à s’en aller ailleurs. Mais, si les électeurs de Brandebourg étaient demeurés luthériens, l’église nouvelle les aurait vite entravés, car, dès qu’elle eut fixé son orthodoxie, elle devint aussi intolérante que l’ancienne église ; elle surveilla et comprima la vie intellectuelle ; elle mit la main sur l’État et le gouverna. L’esprit était moins libre dans la Saxe luthérienne que dans les pays catholiques du moyen âge, et les ministres y étaient des théologiens, la politique y était confessionnelle ; en l’électeur de Saxe se vérifiait cette vérité énoncée par Voltaire que quiconque tient d’une main le sceptre et de l’autre l’encensoir a les mains très occupées. Aussi ce fut un événement dans l’histoire de la monarchie prussienne, que la conversion au calvinisme de Jean-Sigismond, successeur de Joachim. Ce Jean-Sigismond, dont les sujets demeurèrent en majorité luthériens, respecta leur croyance, mais leur imposa le respect de la sienne. Comme il n’avait plus le droit de prier et d’adorer au nom de tous, il laissa tomber l’encensoir public, et il eut dès lors, pour tenir le sceptre, ses deux mains. Pourtant ce n’était pas encore là le plus haut degré de la liberté. Le père du grand Frédéric est assez libre pour composer à son usage un dogme partie luthérien, partie calviniste, mais il est un protestant dévot, et presque fanatique ; il insulte le catholicisme ; il proscrit un philosophe et traite l’harmonie préétablie en crime d’État ; il méprise la science et l’humilie ; il est l’ennemi violent de l’esprit naissant du monde moderne. Quelques règnes encore comme celui-là, il n’y aurait pas eu de Prusse, ou du moins il n’y aurait pas eu la redoutable Prusse que nous connaissons.

Arrive un prince qui n’est pas seulement au-dessus, qui est en