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Les divers strates crayeux qui se continuaient sans interruption de France en Angleterre par l’isthme de la Manche furent d’abord déposés au sein d’une mer tranquille en couches horizontales successives, se superposant par ordre d’ancienneté. Mais les lents mouvemens de l’écorce terrestre, toujours en travail, tout en respectant cet ordre de superposition, sont venus en troubler la commune horizontalité. De même qu’aujourd’hui encore les terres Scandinaves, tournant pour ainsi dire autour d’un axe invisible qui passerait par les îles d’Aland, d’un côté enfoncent lentement sous les flots la pointe de la Scanie et de l’autre font émerger au fond du golfe de Bothnie de nouveaux rivages devant Haparanda, de même, les formations crayeuses du Pas-de-Galais, d’abord horizontales, se sont inclinées de l’ouest vers l’est, de l’Atlantique vers la Mer du Nord. Mais dans ce mouvement qui les a fait apparaître au-dessus du niveau des flots, les assises successives de cette formation ont gardé leur ordre relatif.

Dans ce même ordre elles viennent, l’une après l’autre, présenter leurs tranches à la surface du sol, et, sur l’une et l’autre rive, l’observateur les trouve successivement sous ses pas. Qu’on parte de Folkstone en suivant le rivage, dans la direction de Douvres, voici d’abord l’argile noirâtre du gault, avec ses nombreux fossiles d’ammonites et d’huîtres aux larges valves ; puis, une sorte de marne gris bleu parsemée de points verts : c’est la craie glauconieuse, le chloritic-mearl des Anglais. Ses caractères très tranchés, très facilement reconnaissables, en font un horizon géologique bien défini. D’épaisseur peu importante dans cette région, la craie glauconieuse disparaît bientôt. La craie grise, le grey chalk, lui succède : alternances de lits tendres et durs, cette assise paraît absolument imperméable ; à son plan supérieur, en effet, est la limite d’infiltration des eaux, qui s’épanchent alors en sources abondantes. Les terrains qui lui succèdent sont des craies de plus en plus blanches, qui se peuvent suivre jusqu’au-delà de Douvres ; craies fissurées, perméables, qui laissent circuler les eaux avec une très grande facilité, ce qui leur a valu, dans notre région minière du Nord, le nom caractéristique de niveaux. Car ces différens terrains se retrouvent de l’autre côté du détroit sur notre propre sol, et s’y étendent fort loin. En suivant de Vissant à Sangatte le pied des falaises françaises, on rencontre les mêmes formations que sur la côte anglaise, dans le même ordre, avec des épaisseurs peu différentes, les plus modernes appuyées aux plus anciennes, si bien qu’intuitivement la pensée reconstitue, à travers le détroit, les portions enlevées par les flots, et que la seule constatation de cette frappante concordance suffit à convaincre de l’antique continuité des deux terres.