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nouvelle si on n’a la puissance de la développer, d’en tirer ce qu’elle contient de substance et de féconds aperçus. Une troisième épreuve aurait achevé la conversion de la tragédienne : un soir, soupant à Marseille chez le duc de Villars avec le maréchal de Richelieu et son état-major, elle se trouva à côté d’une Grecque que M. Guys, riche négociant, avait épousée à Constantinople. Cette dame l’avait vue jouer Alzire en belle robe de soie mordorée, avec un soleil en lames d’or sur la poitrine, un petit panier circulaire ou tonnelet chargé de pompons jonquille. Comme une représentation de Zaïre était annoncée, elle lui offrit un de ses costumes byzantins et vint l’habiller elle-même. Le public fut transporté, et, de retour à Paris, l’actrice se lança résolument dans cette voie : plus de poudre, de mouches, de chignons, de fontanges ; dans son ardeur de néophyte, elle ne craignit pas de se montrer en chemise au cinquième acte de Didon : cette chemise devait révéler le désordre des sens où l’avait plongée le rêve qui la chassait de sa couche. Cette fois, elle dépassait la mesure, et on lui intima l’ordre de mieux respecter dorénavant les convenances de la scène.

Malgré tout, la réforme de Clairon et de Le Kain demeura fort incomplète. « Après eux, observe M. Jullien, on continua à vêtir les princesses grecques, romaines, françaises, polonaises, de ce long manteau de velours carré qu’on appelait doliman, et la principale différence dans les autres habits pour les acteurs consistait dans le vêtement court ou long, ce qu’ils appelaient être vêtus à la longue. On jouait Mérope, Cléopâtre, Pauline avec une robe de pou-de-soie noir et une ceinture de diamans, Médée, Phèdre avec la coiffure française et des girandoles de diamans, usage qui subsista jusqu’après la révolution, par la persistance aveugle de Mme Vestris. Le costume des hommes avait fait de plus rapides progrès, et Larive, en endossant un costume copié sur l’antique, à la coiffure près, avait amené l’art de se vêtir à un point assez rapproché de la perfection. »

Cependant elle avait conquis de haute lutte une sorte de suprématie d’opinion publique. Vive le roi et Mlle Clairon ! criait le peuple des spectacles gratuits. Ses camarades détestent la femme qui les accable de ses dédains, qui s’excuse de jouer rarement en affirmant qu’une de ses représentations les fait vivre pendant un mois, mais ils la craignent, et la sachant bien en cour, la prennent comme porte-parole, comme postillon de la troupe auprès du pouvoir. Elle a dix-huit mille livres de rentes, des collections, un train de maison, des amis enthousiastes, de véritables séides : la duchesse de Villeroy, a le tintamarre personnifié, un ouragan sous la forme d’un vent coulis, » Mme Berthier de Sauvigny, femme de l’intendant de Paris, la princesse Galitzin qui ne peut passer deux