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Les tentes s’installent autour de ces sortes de parcs. La vie de ces nomades est, l’hiver, aussi précaire que celle des Kirghizes de la steppe, car ils ont de grands troupeaux, leur seule fortune, et ne préparent l’été aucune réserve de fourrage pour nourrir les animaux pendant la mauvaise saison. L’usage de la faux leur est inconnue. La faucille leur sert pour couper les céréales ; et, comme ils usent du dépiquage pour séparer le grain de la paille, les débris de paille qu’ils récoltent sont peu utilisables. Tant que la neige ne couvre pas le sol, le troupeau trouve encore sa nourriture, soit dans la plaine, tant que le sol n’est pas trop humide, soit alors dans les hauteurs de Kouch-Kanata. Mais, quand la neige cache herbes et arbrisseaux, la situation de ces animaux, habitués à trouver eux-mêmes leur nourriture, devient critique. Chèvres et moutons maigrissent à vue d’œil, ils grattent de leurs pieds la neige pour mettre à nu quelques tiges ou herbes gelées, et beaucoup meurent d’inanition.

La situation du maître du troupeau n’est guère moins lamentable. II tâche, par tous les moyens possibles, d’empêcher les animaux de mourir de faim. Il balaie la neige sur un espace auprès de la tente et y porte les bêtes agonisantes pour qu’elles y trouvent quelques herbes. Lui-même n’a souvent plus rien pour se nourrir, habitué qu’il est de vivre de laitage, de faire tisser ses vêtemens par les femmes avec la laine des brebis, de vivre au jour le jour sur son troupeau. Enfin le printemps arrive, l’herbe pousse, le troupeau engraisse, et notre nomade insouciant mène une vie facile et large jusqu’à l’automne. Il passe son temps à cheval, à se promener de tentes en tentes, à s’enivrer de fait de jument fermenté (koumiss) ou de liqueur de mil (bouza).

C’est l’époque où l’on célèbre de préférence les mariages, occasions de festins et de réjouissances. Les coutumes karakalpakes sont les mêmes que celles des Kirghizes de la steppe ; mais les fêtes que l’on a l’habitude de célébrer en l’honneur des funérailles sont moins fastueuses. Le repas des funérailles a lieu quarante jours après l’enterrement, et d’autres suivent à des époques plus éloignées.

Les Karakalpaks formaient jadis des communautés divisées en kala. Chaque kala avait une petite forteresse et une mosquée. La forteresse servait de refuge en cas d’attaque de maraudeurs. Ces forteresses, inutiles désormais, tombent aujourd’hui en ruines. Maintenant les Karakalpaks, de même que les nomades des autres contrées d’Asie, sont divisés en aouls. On nomme vulgairement aoul une réunion de tentes (huit à quinze) hivernant en un même endroit. La communauté des biens est peu développée.