Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Nous venons en pèlerinage, me dirent-ils.

— Comment se nomme le tombeau devant lequel tu priais ?

— Je ne sais pas, répondirent-ils.

C’est une coutume musulmane, ces visites aux lieux consacrés. Le voyage n’est point coûteux. Ils se mettent deux sur un cheval ou un âne, et les voilà partis. Ils trouvent leur nourriture en route. Le soir venu, ils s’arrêtent dans les tentes ou dans les lieux saints, y passent la nuit. On leur donne du fait, du pain, et, le matin venu, ils continuent leur voyage, s’arrêtant aux mausolées, y faisant une courte prière et persuadés d’acquérir ainsi des faveurs spéciales pour l’éternité. Ce ne sont point des derviches, des prêtres, ce sont simplement des pèlerins. Je rentre en ville à travers une immense nécropole.

Rien de plus triste que ces cimetières musulmans ; tout est en ruines. À peine une faible élévation indique l’endroit où est enfoui le cadavre. Partout des trous d’où les chiens ont extirpé des ossemens, des pierres entassées sur les tombes. Parfois on voit des femmes accroupies autour d’une pauvre tombe, geignant d’une voix sourde et éclatant en sanglots selon le mode de douleur admis en ce pays. Une fois, entre autres, c’était dans un cimetière sur la rive du fleuve, un pauvre cimetière de bourgade, à la terre jaune et pelée. Autour d’une misérable tombe, au pied d’un mûrier, femmes et enfans étaient accroupis. Et, sous l’éclatante lumière, leurs robes vertes et rouges s’enlevaient brutalement sur le ton jaune du sol. Leurs lamentations au rythme vague et lent s’élevaient dans l’air calme, se mêlaient au bruit sourd du grand fleuve.

Les tombes des gens riches sont semblables à celles observées à Khiva. Ces mausolées, aux murs en ruines, se composent de cours nues d’où l’on accède dans des réduits sombres et sans ornemens par des portes basses. Vous entrez, c’est un grand calme, une profonde solitude, il s’en échappe comme un relent de cette vie musulmane. Ce je ne sais quoi de mystérieux, qui a entouré de leur vivant ces hommes d’une autre civilisation, semble encore subsister et les environner après leur mort. Dans ces cours, vous trouvez quelque vieillard à barbe blanche tranquillement assis à prendre le thé, immobile gardien de cette demeure.

L’oasis de Kounia-Ourgendj est fort étroite. Aux murs de la ville, vers le sud, les jardins prennent fin. On coupe un ancien lit du fleuve, dont on distingue assez nettement les rives. On côtoie les ruines de l’ancienne forteresse d’Ak-Kala construite sous Arab-Khan, puis on traverse, pendant des verstes, une immense surface garnie de tamaris. Nous sommes en pays turkmène.

Les Turkmènes yomouds cultivaient jadis cette terre ; mais à la