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grandes surfaces sèches, dénudées, jaunâtres, puis quelques champs de culture dans un bas-fond, tel est l’aspect du pays.

Point de murs en terre autour des champs, point de demeures en pisé, point d’installation quelconque, pas même de quoi faire une halte ; il faut aller de l’ayant, continuer son chemin, chercher un autre endroit plus hospitalier, moins sauvage.

Il est deux heures ; depuis le matin l’on n’a point fait halte. Enfin voici des tentes ; un temps de galop, on pourra boire. J’arrive auprès de la tente avec l’interprète, qui me fait signe de ne point m’avancer jusqu’à la porte, il demande de l’eau.

Un vieillard à barbe blanche sort, tenant une grande écuelle d’eau. Il me voit, et un mouvement instinctif le fait s’éloigner de moi.

C’est un sentiment de haine, de recul devant l’étranger, l’infidèle, le mécréant. Les rides de son front s’accentuent, son œil noir lance un éclair ; puis, se ravisant subitement :

— Bois, me dit-il, en me tendant l’écuelle d’eau bourbeuse ; après tout, tu es un homme qui a soif.

Et ce mot m’émut, tant il contenait de douce philosophie, de calme sérénité.

Iliali, où l’étape nous conduit, est un endroit fort curieux. Au milieu de la steppe, on a élevé une forteresse aux murs de terre. Dans cette forteresse il y a un bazar, quelques boutiques occupées seulement le jour du marché et pas de maisons, aucun autre habitant que le fonctionnaire chargé de percevoir les droits sur le bazar. Le pays est peu sur. Un bazar se tenant dans un emplacement découvert aurait tenté les amateurs de razzia. On fait halte, puis on continue à travers la steppe.

Je fais route pendant quelques heures avec des Turkmènes qui suivent la même voie. Ce sont des hommes grands et solides, aux traits durs et énergiques.

Quelques-uns ont même un joli type de vieux coureurs de steppe.

Les Turkmènes errent dans cet immense désert du Karakorum, borné au nord par l’Oust-Ourt, au sud par les monts dénudés, ayant à leurs pieds les oasis des Akhal-Tekkés. Au printemps, les herbes y poussent, et il y a d’excellens pâturages. Cette immense surface est garnie de monticules de sable, séparés par de larges parties argileuses nommées takir, de couleur rouge et blanche, présentant, dans les temps secs, une surface très dure, qui devient glissante sous la pluie. Ces argiles étant imperméables, les nomades profitent de cette particularité pour y retenir les eaux de pluie et de neige au moyen de canaux les coupant en divers sens et réunissant les eaux dans un bassin creusé dans l’argile. Ces bassins, nommés kak, se rencontrent assez fréquemment et sont