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les autres, à en juger par les apparences extérieures ; il exerce encore son industrie de nos jours dans les villages du centre de la péninsule indienne, et quand la sécheresse semble devenir excessive, et se prolonge en juin ou juillet, — comme elle l’a fait cette année en France, — de telle sorte que la récolte se dessèche et menace de périr, l’agriculteur va trouver le gapogari et le prie d’agir. Ce que fait le sorcier, je l’ignore ; mais si par malchance ou ignorance, il ne remplit point ses fonctions, si la pluie ne tombe pas, on le garde à vue, et chaque jour il est vigoureusement fustigé jusqu’à ce que l’averse arrive. Le métier de gapogari, fort agréable en temps normal, a donc ses côtés fâcheux : toute rose a ses épines.

Le gouvernement américain, n’ayant ni gapogari, ni sorcier quelconque sous la main, se trouvait donc fort en peine en présence des plaintes de ses agriculteurs. D’autre part, « protection » oblige, et du moment où la libre Amérique doit se suffire à elle-même sans recourir à l’étranger, et sans rien lui demander, il fallait trouver dans les limites mêmes des États de l’Union des ressources nouvelles. Elles se présentèrent l’an passé sous la forme du général R. G. Dyreoforth, qui a tenu au gouvernement fédéral un langage dont voici à peu près la teneur.

« Une partie importante des terres de l’Union est absolument inutilisable pour l’agriculture. Des millions d’hectares servent tout au plus à l’élevage de quelques maigres vaches, — depuis que nous avons eu l’imprudence de permettre l’extermination du bison, — et c’est tout. C’est peu. Il faudrait changer cela. Ces prairies où l’Indien maigrit à vue d’œil, et refuse de cultiver, où le coyote, cet emblème vivant, — Tout juste vivant, — de la faim erre en squelette ambulant, et ne réussit à prendre du corps que lors du passage des convois d’immigrans dont le bétail de trait meurt de soif, ces prairies sont des terres admirables. Partout où, par l’artifice ou l’ingéniosité, l’homme a réussi à se procurer de l’eau, les cultures ont réussi d’une façon inespérée ; les récoltes ont été prodigieuses. Depuis des siècles innombrables, elles sont en jachère. Chaque année, les herbes les couvrent, puis, après avoir puisé le carbone de l’atmosphère, elles meurent, restituant au sol un engrais naturel contenant non-seulement ce qu’elles lui ont pris, mais aussi les élémens qu’elles ont empruntés à l’atmosphère, si bien que depuis des périodes presque incommensurables les prairies reçoivent en réalité un engrais merveilleux, l’engrais vert si cher aux agriculteurs. Ce sol est digne de toutes nos attentions : il rendra des récoltes fantastiques si seulement on peut lui donner de l’eau. Il n’y a pas à songer à l’irrigation ; les rivières sont trop éloignées, et