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pour qu’elles errassent dans les bois et les champs jusqu’à la mort ou la guérison. Les prêtres des églises paroissiales étaient chargés de visiter les malades et de les désigner aux inquisiteurs, sous peine d’être brûlés vifs. Les biens mobiliers et immobiliers des victimes étaient confisqués au profit de l’Église, et il était défendu, sous peine de mort, de porter secours aux malades. Cette ordonnance sauvage fut en vigueur jusqu’en 1399, et pendant ces vingt-cinq ans on trouva des gens pour l’appliquer, tant les pestiférés inspiraient de terreur.

Toutefois, cette façon sommaire de s’en débarrasser ne trouva pas d’écho, même en Italie. On comprit qu’il était plus humain et plus prudent tout à la fois, d’isoler les malades dans des établissemens bien clos, que de les envoyer mourir dans les campagnes et y répandre la contagion. La création des lazarets naquit de cette pensée. Le premier fut fondé en 1403, par les provéditeurs de Venise, sur une île voisine de la ville. Gênes en fonda un second en 1467 ; celui de Marseille date de 1476, époque à laquelle les consuls convertirent la léproserie de la ville en hôpital pour les pestiférés. Il s’en éleva d’autres dans les grandes villes de l’intérieur, mais ces établissemens ne s’ouvraient que pour les malades. L’idée n’était pas encore venue de prévenir les invasions de la peste, en éloignant les navires qui l’avaient à leur bord ou en leur infligeant une quarantaine.

Cette innovation n’eut lieu qu’au XVIe siècle, lorsque Fracastor eut exposé, dans un livre devenu célèbre[1], une doctrine de la contagion qui est arrivée jusqu’à nous et que les découvertes modernes de la science expérimentale ont confirmée sur un grand nombre de points. Lorsque cet ouvrage parut, Marseille avait pourtant devancé, dans la pratique, les doctrines qui y étaient exposées, en installant, à l’île de Pomègues, un port de quarantaine. On y envoyait toutes les provenances suspectes, pour y subir une première période d’isolement, pendant laquelle les passagers étaient mis en observation, les marchandises exposées au grand air et soumises aux fumigations. L’admission au lazaret de la ville n’était autorisée qu’à la suite de cette première épreuve. Après la grande épidémie de 1587, la plupart des villes du littoral méditerranéen. Gênes, Toulon, Livourne, suivirent l’exemple de Marseille et créèrent des établissemens analogues.

De pareilles mesures, appliquées avec rigueur, pouvaient garantir le littoral contre l’importation de la peste par les navires ; mais les villes de l’intérieur n’avaient pas cette ressource. Elles cherchaient pourtant à empêcher la contagion en s’isolant de leur

  1. De contagionibus et contagiosis morbis et eorum curatio ; Venetiis, 1546.