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ordonnances royales qui intervinrent alors se bornèrent à créer des intendances sanitaires dans les chefs-lieux des vingt départemens les plus rapprochés de la frontière, des commissions de même espèce dans les sous-préfectures de ces départemens et des lazarets provisoires pour recevoir les marchandises provenant d’outre-Rhin[1] ; mais on reconnut bientôt l’inanité de ces mesures ; elles furent supprimées par la circulaire du 1er mai 1832.

À cette époque, les idées contagionistes étaient battues en brèche de toutes parts. La doctrine de Broussais, qui était alors à son apogée, avait sapé toutes les bases traditionnelles de la médecine et supprimé la spécificité des maladies comme la contagion. Cette doctrine décevante trouvait un appui apparent dans les expériences aussi courageuses que peu concluantes de Glot-Bey, de Bulard et de l’intrépide Chervin, qui a passé sa vie à braver les maladies pestilentielles, en allant les chercher, les unes après les autres, au centre de leurs foyers d’action.

Sous l’influence de ce courant d’opinion, le scepticisme en matière de transmission des maladies pénétra dans le domaine administratif ; les règlemens sanitaires tombèrent en désuétude et les ordonnances relatives au choléra furent abrogées comme nous venons de le voir. Leur inutilité reconnue devait inspirer des doutes sur l’efficacité des mesures qu’on prenait encore contre la peste. Les médecins dont j’ai signalé plus haut la courageuse initiative, et qui avaient acquis en Égypte une expérience qu’on ne pouvait leur contester, entreprirent, contre les quarantaines, une campagne qu’ils poursuivirent d’abord dans la presse médicale, puis à l’Académie de médecine. La longue discussion qui en fut la conséquence montra toute l’insuffisance des notions qu’on possédait alors sur la genèse des maladies pestilentielles et prouva la nécessité, avant d’aller plus loin, de s’éclairer sur toutes ces questions. Or, il était impossible pour cela de s’en rapporter aux autorités locales, et Bégin, se faisant l’interprète d’une pensée qui était dans l’esprit de tous ses collègues, proposa d’attacher des médecins sanitaires français aux principales stations du Levant. L’Académie, sur le rapport de Prus, adopta cette proposition, la soumit au ministre, et l’ordonnance royale du 18 avril 1848 consacra l’importante innovation dont la nécessité venait d’être démontrée.

Des postes de médecins sanitaires furent créés à Alexandrie, au Caire, à Beyrouth, à Damas, à Smyrne, à Constantinople et vingt ans plus tard à Téhéran. Leur mission consistait à s’enquérir avec soin de l’état sanitaire de leur résidence et à tenir les consuls au courant de la situation. Grâce à leurs informations, on put sur-le-champ

  1. Ordonnances royales des 25 août et 15 septembre 1831.