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que le département militaire. Les fonctions de ce chancelier étaient telles que lui seul pouvait porter ce glorieux fardeau sans plier sous le faix, et on a pu dire que la constitution allemande avait été faite par un homme et pour un homme.

Malheureusement les droits qui ne sont que des prétentions ne tardent pas à être contestés ; on peut toujours dire : « Il n’y a rien d’écrit, » — Et M. de Bismarck n’avait pas osé écrire dans sa charte qu’il resterait chancelier jusqu’à sa mort. S’il a pensé que c’était inutile, que la chose allait de soi, il s’est trompé. Les droits que donne la naissance sont évidens, ceux du génie le sont moins, et les grandes situations attirent fatalement d’innombrables ennemis à ceux qui entendent les garder pour eux. Il y avait à la cour de Vienne de petits hommes qui soutenaient qu’après tout Wallenstein avait eu plus de bonheur que de génie, des jaloux qui l’accusaient d’avoir fait des fautes et manqué plus d’une occasion de rosser les Suédois, des vaniteux qui affirmaient en se rengorgeant qu’à sa place ils se seraient tirés d’affaire aussi bien ou mieux que lui. Il y avait aussi des hommes qui, sans aspirer à sa succession, estimaient qu’un empereur a grand tort de laisser un de ses sujets parvenir à ce degré de grandeur et de puissance où l’imagination s’exalte et où tout paraît possible.

Quand le comte Schlick, président du collège aulique de guerre, rendit visite à Wallenstein dans son camp de Silésie, il se plut à le faire causer, et peut-être le surprit-il dans un de ces momens de belle humeur où le généralissime mêlait les rodomontades aux épigrammes. En revenant à Vienne, il dit à l’empereur qu’il n’avait garde de douter de la fidélité du général, mais que les hommes de ce caractère n’ont pas besoin d’être déloyaux pour devenir dangereux. Des propos semblables ont été tenus sur le prince de Bismarck à la cour de Berlin, et à force d’être répétés, ils ont fait impression. Il est facile de persuader à un souverain que son autorité est méconnue, qu’on porte atteinte à son honneur, qu’un ministre trop puissant le met dans l’ombre et le diminue dans l’estime de son peuple, que les renoncemens qu’on exige de lui sont indignes d’un roi, que l’art de régner n’est pas l’art de s’annuler. Avant de prendre sa résolution, l’empereur Guillaume II n’a pas ordonné des prières dans les églises de Berlin ; mais sans doute il a longuement causé soit avec ses conseillers-privés, soit avec son Dieu, qui est le Dieu de Rosbach et qui aime les poings solides et les grands coups. Il a frappé, et M. de Bismarck, brusquement arraché de ses grandeurs, a regardé les successeurs qu’on lui donnait comme des larrons, qui le dépouillaient de son bien personnel, qui violaient le droit de propriété en s’impatronisant dans une maison bâtie par lui et pour lui. Tout grand homme a ses Schlick, qui s’appellent quelquefois Bœtticher, et il les étranglerait volontiers.

La destinée des Wallenstein est de finir par les contradictions et de