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honteux, en déserteur, en homme de peu de foi rendant les armes devant l’ennemi, et ne lui épargnent ni les insinuations perfides, ni les représailles acerbes. Il y a quelques jours encore il était de tous les conciliabules secrets du parti, même des petites conjurations, on le lui a durement rappelé ; aujourd’hui, il n’est plus qu’un transfuge désavoué et honni pour une abdication d’un si mauvais exemple ! Il se peut sans doute que M. de Breteuil ne soit pas une autorité infaillible, quoiqu’il ait eu parfois les dehors d’un personnage suffisamment accrédité. Il a déjà traversé bien des camps sans trop disputer sur le drapeau, et il n’a pas même craint de se mêler aux plus obscures, aux plus louches intrigues de l’aventure boulangiste. Il paraît être un de ces politiques qui ne se laissent pas embarrasser par les scrupules, qui, après avoir tenté galamment la fortune, quittent la partie avant d’avoir tout perdu, et sa démission peut n’être que l’acte d’un homme avisé et clairvoyant qui ne s’obstine pas aux résistances inutiles. C’est possible : c’est une question à débattre entre le député d’Argelès, qui s’efface avec dextérité, et ceux qui, ne voulant pas l’imiter, s’irritent de l’exemple. La lettre que M. de Breteuil vient de publier ne reste pas moins ce qu’elle est, le signe de la désorganisation croissante de la vieille opposition, des coalitions hostiles et l’aveu dégagé d’une défaite. Elle achève de dissiper une équivoque qui a faussé toute la politique depuis dix ans, qu’on chercherait vainement désormais à prolonger. Elle caractérise à sa manière cette situation nouvelle où nous entrons. Les polémiques plus ou moins retentissantes n’y peuvent rien et ne changent pas le courant des choses. Elles ne sont qu’un bruit inutile, un incident bon tout au plus à occuper les loisirs de la saison, déjà perdu dans toutes ces agitations grévistes ou socialistes du jour qui laissent le pays indifférent ou récalcitrant, parce qu’aux revendications sérieuses se mêlent les surexcitations factices, les âpres convoitises, les chimères irréalisables.

Qu’est-ce donc en effet que cette recrudescence de grèves qui s’est manifestée un peu partout, à Carmaux, dans le Tarn, ou même à Paris, dans le centre ou dans le Nord, qui est venue troubler un instant la paix de la saison ? Les grévistes ou leurs chefs ont, en vérité, de toute façon mal choisi leur moment. Certes, s’il fut jamais un temps où il y eut la volonté ardente et presque impatiente d’adoucir ou d’élever la condition de ceux qui travaillent, de s’occuper de leur bien-être, de leurs besoins, d’étendre leurs droits, de leur assurer les garanties, les bienfaits d’une libérale équité sociale, c’est bien le temps où nous vivons. Il y a même cela de caractéristique que désormais tous les partis, tous les pouvoirs, à commencer par le pape, se confondent dans cette œuvre, qu’on ne recule pas devant les réformes les plus hardies, et que si on n’est pas parvenu à résoudre tous les problèmes du travail, à vaincre l’incurable misère, il est certain du moins que