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veut simplifier les formes de la juridiction. Son projet attribue à la section le pouvoir de prononcer publiquement dans un très grand nombre d’affaires qui sont aujourd’hui portées à l’audience du conseil statuant au contentieux ; sur ce chapitre, il reproduit, ou peu s’en faut, la proposition de M. Ricard. Il va même plus loin : il investit chacun des deux comités du droit de régler eux-mêmes les petites affaires de contributions directes, de taxes assimilées et d’élections, — s’il n’y a pas d’avocats. Mais le projet de M. Krantz diffère de la proposition en un point capital, car il ne change rien, absolument rien aux compétences ; il craint de porter la main sur ces fragiles barrières ; pas une parcelle n’est retranchée par lui du vaste domaine que la loi et la jurisprudence ont assigné au juge administratif. Il n’a pas cru davantage pouvoir restreindre le droit d’appel, dans la mesure même si prudente où M. Ricard l’avait fait.

Sans pousser plus loin l’analyse du projet de M. Krantz, on aperçoit comment, entre la combinaison de M. Fallières et la réforme de M. Ricard, il pouvait être accepté comme un compromis. Quoi qu’il en soit, la commission se l’est approprié, — au moins pour la plupart de ses dispositions caractéristiques, — et son auteur, devenu le rapporteur, l’a déposé, au nom de la commission, sur le bureau de la chambre dans la séance du 21 mai[1].

  1. La commission, en adoptant le projet de M. Krantz, y a inséré des dispositions très diverses, dont quelques-unes ont une valeur et une opportunité contestables. Une disposition excellente est celle de l’article 10, empruntée à l’ancienne proposition de M. L. Passy, qui tendait à fixer le délai dans lequel doivent être jugés les recours pour excès de pouvoir. Il s’agit de mettre fin à un abus grave. Lorsqu’un recours pour excès de pouvoir est introduit, la section le communique au ministre intéressé, en indiquant l’époque où les pièces de l’affaire devront être renvoyées. Malheureusement, ce n’est point un délai légal ; nulle sanction s’il est outrepassé ; dès lors, l’administration mise en cause n’en tient compte que s’il lui plaît. Prévoit-elle un échec ? Elle peut laisser dormir le dossier dans ses cartons, et ne le rétablir au greffe que lorsqu’il s’est écoulé un temps assez long pour qu’elle n’ait plus à craindre la décision qui serait rendue contre elle. Cependant, le conseil, dessaisi des pièces, est obligé d’attendre, et on lui fait commettre un véritable déni de justice. — Le projet de la commission contient, d’autre part, une série de dispositions qui ont trait au personnel du conseil d’État. Il en est une que je ne puis passer sous silence : c’est l’article 14, qui fixe une limite d’âge. Cette limite serait soixante-dix ans. Pourquoi soixante-dix ans, alors que les conseillers à la cour de cassation ne sont atteints qu’à soixante-quinze ? C’est, nous dit le rapporteur, que les fonctions de conseiller d’État exigent une plus grande activité ! Voilà sans doute une assertion flatteuse, mais qu’il serait difficile de prouver. Au contraire, il importe de remarquer que, à la cour suprême, ce sont les conseillers qui nécessairement font tous les rapports ; au conseil, les rapporteurs ordinaires sont les maîtres des requêtes et les auditeurs, et je ne sache pas non plus que les affaires de la cour de cassation soient moins délicates et n’exigent pas de même toutes les forces d’un esprit agile. Ce que la commission propose là est une mesure absolument nouvelle. À aucune époque, il n’y a eu une limite d’âge pour les membres du conseil, puisque aussi bien ils sont amovibles, révocables ad nutum, et que la limite d’âge n’a quelque raison d’être que s’il y a inamovibilité. Ce fut, d’ailleurs, l’argument que l’on eut soin d’alléguer, quand, au lendemain du coup d’État, le décret du 1er mars 1852 établit la limite d’âge pour la magistrature assise.