Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Faut-il aller plus loin ? Et doit-on s’engager dans la grande entreprise qui consisterait à remanier les compétences en procédant à une répartition nouvelle des affaires entre le juge administratif et le juge civil ? La commission n’a pas cru devoir aborder cette grave réforme, quant à présent du moins. Elle va au plus pressé, se bornant aujourd’hui à procurer les moyens de déblayer le rôle du contentieux. Elle déclare, d’ailleurs, réserver et non rejeter cette partie essentielle de la proposition de M. Ricard : ce sera l’objet d’un projet ultérieur. Est-ce une façon polie « d’enterrer » la question ? Je me défie quelque peu du sort de ces réformes que l’on ajourne pour les mieux étudier. Quoi qu’il en soit, il y faudra revenir. N’allons pas aussi loin que M. Ricard, soit ! mais reconnaissons que les auteurs de la loi de pluviôse an VIII, lorsqu’ils ont constitué le domaine de la juridiction administrative, ont fait une œuvre qui était, comme toute œuvre humaine, imparfaite et, en tout cas, sujette à vieillir. Ils en avaient puisé les élémens dans la législation de la constituante. La règle actuelle des compétences a ainsi plus de cent ans. Il est temps de la re viser.

Mais, en la révisant, on devra procéder avec bien de la prudence ! Je ne sache pas d’œuvre plus épineuse, et qui réclame une main tout à la fois plus exercée et plus discrète. Sans quoi l’on risquerait de recommencer l’aventure de ce jardinier maladroit, qui mutilait les arbres qu’il voulait émonder. Assurément, oui, elle s’impose, cette révision des compétences ! Et pourtant je ne me figure pas sans quelque effroi les chambres portant la serpe dans le domaine séculaire et inviolé de la juridiction administrative, coupant, tranchant, exécutant, — certes, de la meilleure foi du monde, mais à la façon tumultueuse et capricieuse des assemblées politiques, — cette besogne abstruse qui, en vérité, devrait être accomplie, non par des législateurs, mais par des légistes ! Et puis je ne vois pas bien ce que les pauvres justiciables, que vous aurez fait voyager en masse d’un prétoire à l’autre, y gagneront, ni ce que gagneront, de leur côté, les administrations publiques. Sans contredit, les uns et les autres retrouveront chez le magistrat civil ces garanties inappréciables pour le plaideur, l’intégrité du caractère et l’attachement au devoir professionnel. Retrouveront-ils de même la compétence spéciale et l’expérience en quelque sorte technique à laquelle le juge administratif les a accoutumés ? La division du travail n’est pas simplement une pratique commode ; c’est la loi même du labeur humain dans toutes les branches où il s’exerce, et dans les affaires de justice non moins que dans les autres. Les