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encore rigoureusement le sabbat, — ont de la répugnance à voter. Les boutiquiers ne peuvent le faire, parce que c’est le jour de vente par excellence. Les ouvriers votent plus aisément ce jour-là, parce qu’ils ont congé dans l’après-midi. Le samedi, enfin, est le seul jour où les commis-voyageurs puissent exercer leurs droits électoraux, puisqu’ils voyagent tout le reste de la semaine.

Nous ne connaissons pas, en France, ces inconvéniens. Toutes les élections se font à la fois, le dimanche, jour de chômage général. De cette façon, aucune catégorie de citoyens ne peut se plaindre d’en être exclue. Un autre avantage de notre système, c’est que nulle partie du corps électoral ne jouit du privilège de parler la première et d’influencer les autres.

Rien de tel en Angleterre. La loi électorale, quoique fort améliorée, est encore minutieuse, bizarre et compliquée, si on la compare à la nôtre. Évidemment, pas plus en cette circonstance qu’en toute autre, la nation évolutioniste entre toutes n’a voulu arriver d’un bond à la simplicité absolue. Ajoutez un adjectif à l’axiome de Linné : Natura anglica non facit saltus.

Le jour de la dissolution, les writs (ordres de convocation) partent de Downing street. Le magistrat local qui préside au vote, le returning officer fixe lui-même le jour de la nomination et celui de l’élection. Car il faut distinguer. Tout candidat doit être « nommé » par deux de ses amis, qui se présentent et font leur déclaration au chef-lieu électoral. Si nul ne bouge, le voilà membre du parlement. Mais si deux autres personnes présentent un candidat rival, le vote devient nécessaire. Entre l’émission du writ et la nomination, entre la nomination et l’élection, un certain nombre de jours, fixé par la loi, doit s’écouler et ce délai n’est pas le même dans les bourgs et dans les circonscriptions rurales. Il était donc facile au gouvernement de lord Salisbury, par la date même de la dissolution, d’exclure le samedi comme jour de vote dans les circonscriptions londoniennes et dans les grandes villes.

Jusqu’à quel point cette habileté, — disons cette rouerie, — a-t-elle profité aux conservateurs ? Il est impossible de le dire. Pendant huit jours, on a beaucoup crié à ce sujet, puis, comme c’est l’usage, on a parlé d’autre chose.

Il y a trois choses à considérer dans une élection anglaise, les meetings, les circulaires et manifestes, enfin le canvass.

Dans les meetings, les candidats et leurs amis développent leurs principes. Quand les deux partis sont représentés, on crie et on s’amuse beaucoup ; car il ne faut pas perdre de vue ce fait que la politique, en Angleterre, est une chose gaie. Autrefois un bon meeting se terminait par une scène de pugilat et par la prise d’assaut de la plate-forme. Le fait s’est produit cette année dans le