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de la salle sur la pointe du pied. Était-ce lâcheté ? C’était plutôt la conscience d’une incurable impuissance et d’une impopularité méritée.

Les faits d’intimidation et de violence ont été extrêmement rares en Angleterre, mais très fréquens en Irlande. Ce n’est pas entre les autonomistes et les unionistes que la lutte a été acharnée, mais entre les amis de Parnell et ses anciens adversaires. Le principal rôle dans ces discussions a appartenu au shillelagh, ce formidable bâton noueux qui ressemble à une massue. Plusieurs hommes marquans ont été blessés assez sérieusement, Michel Davitt, souffleté par une femme, a eu beaucoup de peine à empêcher qu’on ne la fouettât sur place pour le venger. J’ai le regret d’ajouter que des actes de brutalité ont été relevés à la charge de certains prêtres, actes d’autant plus coupables que, leur personne étant sacrée, ils sont à l’abri de toutes représailles. Ces faits se seraient passés à Navan (comté de Meath) et dans le district environnant ; ils sont affirmés par un reporter du Daily Telegraph qui en aurait été le témoin oculaire. On parle aussi d’une tentative pour faire dérailler un train chargé de manifestans, mais que ne dit-on pas, surtout pendant la période électorale, en cette Irlande, terre classique de l’exagération ?

Comme M. Gladstone faisait son entrée à Chester en voiture, accompagné de Mrs Gladstone et de sa fille, une femme lui a lancé au visage un morceau de pain d’épice durci, d’une main si vigoureuse et si sûre que la douleur a été très vive et qu’on a craint un moment pour la vue de l’illustre homme d’État. Cette femme n’a été aperçue que de sa victime et s’est perdue aussitôt dans la foule. Immédiatement après, M. Gladstone s’est présenté devant le meeting qui l’attendait et n’a pas fait la moindre allusion à l’aventure. Le lendemain, écrivant à un ami, il se contentait de dire : — « J’emprunte une main étrangère à cause d’un petit accident qui m’empêche de tenir la plume. » — Au premier moment, l’émotion a été grande en Angleterre. Les partisans de M. Gladstone auraient pu transformer cette agression en attentat : la sympathie, peut-être un peu perfide, de ses adversaires les y invitait. Leur bon goût et leur bon sens les ont préservés de cette maladresse. Pourtant, le fait n’a pas été sans quelques conséquences. M. Gladstone s’est ressenti et se ressent encore du tort fait à sa vue par la congestion dont le coup a été suivi. Il est demeuré pendant quelques jours sans pouvoir lire les journaux ni s’occuper de sa correspondance.

Une des légendes en cours dans les salons antilibéraux montre M. Gladstone circonvenu, comme un souverain d’autrefois, par une camarilla qui obstrue les issues, intercepte les renseignemens,