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une ligne de conduite fermement maintenue et résolument suivie dans notre politique extérieure ? Pourquoi, dès lors, nous étonner que nos voisins entendent aussi bien que nous le patriotisme ? Si l’on me demande : « lord Rosebery est-il Allemand ou Français ? » je réponds simplement qu’il est Anglais.

La question de l’Egypte demeure la grosse question et, à ce qu’il semble, la question insoluble. Les Français y mettent de l’entêtement, de la passion ; à entendre certains journalistes, on dirait qu’il s’agit d’une seconde Alsace-Lorraine. Il ne faut point parler d’un champ d’opérations momentanément soustrait à l’action de quelques spéculateurs, comme on parlerait d’un membre arraché au corps vivant de la patrie. D’ailleurs, comment l’Egypte nous a-t-elle échappé ? Personne n’a oublié cette journée des dupes où quelques vagues paroles jetèrent une sorte de panique parmi nos députés. On nous montrait le Rhin. Quoi d’étonnant si, pendant un moment, nous avons perdu le Nil de vue ? C’est ce qu’on pourrait appeler, en escrime politique, le « coup du Prussien. » Il ne faut pas le recommencer trop souvent.

Toutes les fautes se paient ; quelques-unes seulement se réparent, mais à force de patience et de sang-froid. Un journaliste parlait de rappeler à M. Gladstone et à M. John Morley leurs promesses et leurs votes en les sommant d’y faire honneur. D’abord M. John Morley doit être mis en dehors de la question. La besogne qui lui incombe est assez lourde sans qu’il se charge de celle des autres. Je ne doute pas qu’il ne pense sur la question égyptienne comme il pensait l’an dernier. Ce n’est pas sa mode de renoncer à ses convictions et de tourner au vent. Mais, en cette affaire, il n’a que sa « place au parterre, » et ses sentimens, aujourd’hui comme hier, n’engagent que lui-même. Pour M. Gladstone, il est, après tout, le premier serviteur du pays. Que demain il agisse contre la volonté manifeste de la nation, et l’on verra ce que dure l’ascendant d’un grand homme. En lui demandant d’accomplir des engagemens inexécutables, on ne ferait que paralyser sa bonne volonté et augmenter, sans profit pour nous, le nombre de ses ennemis.

Au mois de février, s’il n’y a point de session d’automne, nous entendrons de nouveau parler de l’Egypte. Sir Charles Dilke offrira au parlement son projet de neutralisation de la vallée du Nil ; M. Labouchère réclamera l’évacuation immédiate. Le premier projet n’a aucune chance d’être pris en considération. Ce serait à la France à repousser cette solution si elle était acceptée à Westminster, car elle mettrait à néant les droits du sultan que nous devons maintenir de toutes nos forces. C’est à Constantinople qu’est la solution française de la question égyptienne. Quant à l’évacuation