Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/419

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le mariage (9 mai 1798). Mme de La Fayette fut assez gravement malade par suite des infirmités qu’elle avait contractées durant sa longue captivité. Elle ne souffrit pas qu’on ralentît d’un jour les apprêts de la noce. Elle était aussi calme, aussi ferme d’esprit qu’on l’avait jamais vue. Ses enfans la transportaient sur un canapé de sa chambre au salon. Mme de Montagu, près d’accoucher, les aidait à panser « les glorieuses plaies de leur mère. »

Stéphanie de Montagu vint au monde, en effet, dix jours après le mariage d’Anastasie de La Fayette. Elle fut ondoyée par Mme de Tessé ; mais il fallut recommencer la cérémonie. Mme de Tessé, qui n’en faisait jamais d’autres, avait, dans son trouble, répandu sur la tête du nouveau-né, au lieu d’eau pure, un flacon d’eau de Cologne : elle assurait pourtant qu’elle avait fait sur la tête de l’enfant un grand signe de croix.

Pour ajouter aux joies de cette union que le malheur avait préparée, en cimentant l’affection entre les deux familles, George La Fayette était arrivé de Mount-Vernon. Il apportait à son père une lettre de Washington. Ce grand homme lui disait toute la part qu’il avait prise à ses souffrances, ses efforts pour le secourir, les mesures qu’il avait adoptées, quoique sans succès, pour faciliter sa délivrance, sa joie enfin de voir le terme des injustices : « À aucune époque, ajoutait-il, vous n’avez eu une plus haute part dans l’affection de ce pays. Je n’emploierai pas votre temps à vous parler de ce qui me regarde personnellement, si ce n’est pour vous dire que je suis encore une fois rentré dans mes foyers, où je resterai en formant des vœux pour la prospérité des États-Unis, après avoir travaillé bien des années à l’établissement de leur indépendance, de leur constitution, de leurs lois[1]… » Cette lettre se terminait par ces mots plus affectueux encore que de coutume : « Si vos souvenirs ou les circonstances vous portaient à visiter l’Amérique, accompagné de votre femme et de vos filles, aucun de ses habitans ne vous recevrait avec plus de cordialité et de tendresse que Mme Washington et moi ; nos cœurs sont pleins d’affection et d’admiration pour vous et pour elles. »

Il y avait autre chose que du sentiment dans ces lignes ; elles cachaient un regret : depuis que La Fayette avait disparu de la scène politique, des dissensions affligeantes étaient survenues entre nous et les États-Unis. La France et la Grande-Bretagne essayaient depuis longtemps d’entraîner dans leurs hostilités réciproques le gouvernement américain et de lui imposer des résolutions contraires à ses principes de neutralité, comme à la liberté du commerce.

Par représailles contre l’Angleterre, la Convention avait autorisé,

  1. Voir Correspondance t. IV, p. 392.