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réceptacle commun, ne roule à cette heure qu’un mince filet d’eau sur le large lit de sable et de roches entraînées qui rappelle ses débordemens ; vienne une nuit d’orage, elle se changera au matin en un fleuve dont le débit peut égaler celui du Rhône. Il y a deux ans, lors de la terrible inondation qui fit tant de dégâts et de victimes humaines au pont de Labeaume, au pont d’Aubenas, à Vogüé, la rivière poussa dans la plaine une trombe de vingt mètres de hauteur au pont d’Arc. L’an dernier, les routes encore détruites, les ponts emportés sur tout son cours attestaient l’exactitude des récits que l’on me faisait sur la cruelle matinée du 22 septembre 1890.

Les affouillemens séculaires de ces violentes masses d’eau, creusant très profondément les berges où elles sont encaissées, ont mis à nu la curieuse constitution géologique du sol. En remontant l’Ardèche, l’Alignon, la Volane, le long des routes de Thueyts, de Jaujac, d’Antraigues, on marche durant des heures sur les Chaussées des géans, ces hautes parois de basalte qui descendent à pic dans le lit des rivières. Les prismes bleuâtres, tantôt alignés verticalement comme des buffets d’orgues, tantôt couchés en désordre et se présentant par leur section, forment des voûtes cintrées, des portiques, des colonnades d’une régularité si parfaite que l’on croit y reconnaître le travail de l’homme. Au-dessus, la couche de pouzzolane et terre végétale est d’une fertilité inépuisable ; des rideaux de vigne folle retombent sur la muraille basaltique, et les plus riches vergers reposent sur ces énormes pilotis. Les cratères voisins, les coupes de Jaujac et d’Aizac, la Gravenne de Montpezat, ont vomi ces fleuves de lave figée. De loin, les évens du foyer vivarois ne se distinguent pas des sommets environnans ; la teinte rouge des cendres sur leurs flancs se confond avec la pourpre du tapis habituel de bruyères. On y monte, on pénètre par l’échancrure, et l’on se trouve dans une cuvette régulière, où les châtaigniers poussent dru sur les scories qui obstruent la cheminée de la vieille fournaise éteinte. De là on peut suivre la marche de ces coulées qui contournèrent les montagnes intermédiaires et allèrent fort loin combler les vallées, déblayées à nouveau par l’action des rivières. Nulle part l’histoire de la terre n’est gravée en caractères aussi clairs ; car nulle part ces phénomènes ne sont aussi fréquens et aussi grandioses que dans l’Ardèche.

i c’est l’avis de Faujas de Saint-Fond, auteur d’un beau Discours sur les volcans brûlans, qu’il dédia galamment au cardinal de Bernis, originaire de Saint-Marcel d’Ardèche. Ce grand ouvrage traite avec beaucoup d’agrément des feux souterrains et des pierres qui en sont sorties. J’avoue mon faible pour ces livres de science du