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des esprits acrimonieux et violens, impatiens d’agitations et de guerres intestines qui ont depuis quelque temps engagé toute une campagne contre ce modeste chef d’État, contre son prétendu gouvernement personnel, qu’ils cherchent partout, dans ces hommages qui lui sont rendus, dans ses discours, dans sa diplomatie, dans les plus futiles incidens ? Le feu est ouvert contre la présidence, et ce ne sont pas les acclamations de Savoie qui l’apaiseront ; oui, vraiment, on n’en peut plus douter, les radicaux en sont sûrs et ne cessent de le répéter depuis qu’ils n’ont rien de mieux. M. Carnot est un péril, une menace ! Il a beau s’en défendre, et même, tenant trop peu de compte de l’action humaine, de l’action personnelle dans les affaires publiques, dire avec quelque vivacité à un de ses interlocuteurs, qu’en France les hommes ne sont rien, que les institutions sont tout ; il a beau s’effacer, rester dans la plus stricte et la plus modeste limite de son rôle constitutionnel, s’étudier à désarmer par ses déclarations les plus jalouses susceptibilités républicaines. Il est bien clair qu’il cache son jeu ! M. Carnot, on ne s’en serait pas douté, est un César déguisé qui cherche toutes les occasions d’imposer sa volonté, qui, avec ses séjours à Fontainebleau, dans la demeure des vieilles royautés, avec ses voyages princiers, ne peut avoir que des intentions suspectes ! S’il va, par sa présence aux revues des manœuvres, porter à l’armée le témoignage des sollicitudes du gouvernement, s’il parle avec une généreuse émotion de « notre chère armée, » qu’il appelle « la vraie France, » il poursuit pour le moins quelque captation soldatesque ! S’il emploie avec une dignité simple et libérale les émolumens qu’il tient de l’État en œuvres de bienfaisance, au lieu de les mettre en Consolidés anglais pour ses vieux jours, il brigue sûrement une popularité qui ne dit rien de bon ! Si la fatigue des vexations, des dissensions religieuses pénètre dans le gouvernement, dans le monde parlementaire lui-même, et si le pape, du haut du Vatican, aide à la pacification, M. Carnot est manifestement l’instigateur secret de la grande intrigue cléricale ! Il prépare pour sûr la rentrée des sœurs de charité dans les hôpitaux, il livre la laïcisation ; il a tout négocié avec le pape, il a sa diplomatie occulte avec tous les ennemis de la vraie république ! S’il met la modération dans ses discours, s’il parle d’union de tous les Français, c’est une désertion de la politique républicaine !

L’acte d’accusation est complet, le procès a commencé et se déroule perfidement dans les journaux. La conclusion de tout ceci est qu’à toutes les questions qui peuvent préoccuper la France, il faut se hâter d’ajouter une question présidentielle et s’armer contre une réélection possible de M. Carnot ; mais, direz-vous, il y a encore deux ans, avant cette réélection ou une élection nouvelle, et d’ici là la chambre elle-même aura été renouvelée, bien des choses peuvent se passer, tout peut changer de face. N’importe, on ne saurait trop tôt entrer en cam-