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crises de société n’aient plus rien de local, qu’ils prennent une importance croissante pour tous les peuples, pour les plus grandes nations, pour l’Angleterre, pour l’Allemagne aussi bien que pour la France. Ils ont leur place dans la vie européenne à côté des affaires de diplomatie, des questions d’alliances, des rivalités de puissances, et il n’est pas sûr qu’ils ne réagissent par degrés sur l’ensemble des rapports généraux. Pour le moment, l’Europe en est encore à ses vieilles combinaisons, à son équilibre branlant, à sa politique d’attente perpétuelle, à cette paix qui naît d’une neutralisation de forces et qui dépend des circonstances, peut-être du hasard, sans doute aussi de la vigilance calculée des gouvernemens. On en revient toujours à cette situation où les augures de la politique qui sont partout ne cessent d’être occupés à regarder de quel côté souffle le vent du jour, à déchiffrer des énigmes, à interroger le sens du plus léger incident, de quelques paroles de souverains, d’une entrevue princière ou ministérielle, des mouvemens d’une escadre. Qu’a dit l’empereur d’Allemagne ou quel langage tiendra-t-il aux manœuvres de son armée ? Comment tourneront ces singuliers différends commerciaux qui se sont récemment élevés entre l’Autriche et l’Italie, ou de quel œil le cabinet de Vienne voit-il le congrès catholique de Linz où l’on a bel et bien réclamé le rétablissement de la souveraineté temporelle du pape ? Quelle influence pourra avoir dans les affaires du continent, dans le jeu des alliances, le dernier changement de ministère en Angleterre ? Que s’est-il passé l’autre jour à Aix entre M. Ribot et M. de Giers, dans la conversation qu’ont eue le chancelier de Russie et le ministre des affaires étrangères de France ? Mon Dieu ! il ne s’est probablement rien passé, et il ne pouvait rien se passer de bien nouveau à Aix. Il est infiniment vraisemblable que rien n’a été changé, que la conversation des deux ministres n’a fait que confirmer les rapports noués avec éclat, que tout reste au même point, par cette raison bien simple qu’il est des situations qui naissent de la force des choses et se lient à un certain état du monde. C’est la triple alliance qui a créé ce qu’on appelle l’entente franco-russe, et ce n’est pas un entretien de plus de M. de Giers avec M. Ribot qui a pu rien ajouter d’essentiel à ce que les circonstances ont décidé. D’un autre côté cependant, voici l’incident retentissant du jour, la visite d’une escadre française à Gênes, à l’occasion de la présence du roi d’Italie dans la ville de marbre et du centenaire de Christophe Colomb.

A-t-il été l’objet d’assez de commentaires, de contradictions et de polémiques, ce voyage pourtant si simple et si naturel ? Depuis longtemps la France avait à rendre une politesse au roi Humbert qui, il y a deux ans, à l’occasion d’un voyage de M. Carnot à Toulon, avait envoyé une escadre porter ses complimens à M. le président de la république. La France n’avait pas oublié et ne songeait sûrement pas à éluder ce