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former son ministère sans se trouver pris dans la comédie des vanités, des ambitions remuantes et mécontentes. Bref, il a eu pour son début son imbroglio Labouchère, ses démêlés avec le spirituel député radical. C’est l’intermède piquant dans la formation d’un ministère. Qu’est-ce à dire ? le pétulant député de Northampton qui a été autrefois secrétaire d’ambassade et qui s’est émancipé depuis, qui est aujourd’hui un radical, un journaliste hardi à tout dire, l’allié un peu libre des libéraux, M. Labouchère a cru récemment être ministre ; il ne l’a pas été, et il a tenu à amuser le public de ses déconvenues, de ses indiscrétions. Il a accusé tout haut la reine de lui avoir fermé la porte du ministère, d’avoir imposé son veto à M. Gladstone. À parler franchement, il n’y a pas tant de quoi s’étonner et faire tout ce bruit. M. Labouchère passe sa vie à faire le procès de la monarchie, à s’élever contre les dotations des princes, contre les dépenses de la royauté, à réclamer la vente des biens royaux. Quand la reine aurait éprouvé quelque hésitation ou quelque répugnance à accepter le nom du député de Northampton, ce serait un sentiment humain qui ne menacerait pas précisément les libertés britanniques. En réalité, la reine n’a pas eu à biffer le nom de M. Labouchère parce que ce nom ne lui a pas été présenté. M. Gladstone, en homme d’État sérieux et en parlementaire éprouvé, s’est hâté de couvrir la reine de sa responsabilité. Il a tout pris sur lui, en mettant d’ailleurs toute sa bonne grâce à désintéresser l’amour-propre du spirituel et irritable candidat au poste ministériel ; mais M. Labouchère a redoublé d’esprit irrévérencieux et de sarcasmes, raillant M. Gladstone pour son abnégation chevaleresque, pour son dévoûment à couvrir sa souveraine, plaignant le premier ministre des difficultés de sa position et finissant par lui dire qu’il n’était pas un a agent libre. » La petite comédie des disgrâces du député radical s’est prolongée une semaine ou deux devant le public anglais sans plus de résultat. L’incident Labouchère a fait les frais des premiers jours du nouveau règne de M. Gladstone.

Reste aujourd’hui pour le ministère libéral l’œuvre sérieuse, et les projets que M. Gladstone s’est chargé de préparer pour la réalisation pratique du home-rule, et les questions de politique extérieure qui ne s’arrêtent jamais. Il est certain que les occasions de préciser ses vues ne vont pas manquer à lord Rosebery et en Europe et en Orient, et dans l’Afghanistan où les relations de l’Angleterre avec l’émir restent toujours obscures, et en Égypte où s’agite la question sans cesse renaissante de l’occupation britannique. Rien ne le presse sans doute, et on dit même que, prié de se faire une opinion sur l’Égypte, il aurait pris jusqu’au mois d’avril pour préparer ses décisions, pour négocier avec la Porte et avec les cabinets intéressés. Ce n’est pas le temps qui est une difficulté. L’essentiel est que le nouveau ministère porte un