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perclus par la goutte, craignant tout travail, fuyant toute contention et esquivant toute discussion, il regardait le trône de France autant comme un bon fauteuil que comme un poste d’honneur. Les séances du conseil et les délibérations avec les ministres de département lui étaient insupportables. Ce roi d’Yvetot humaniste préférait lire du latin ou se faire conter par Blacas ou par Beugnot les petites intrigues, les scandales et les commérages de la cour et de la ville. Toujours hésitant entre les partis à prendre, il aimait qu’on lui présentât des solutions toutes faites : « Voyez donc à arranger cela, » était son mot habituel. Incapable bien plutôt par paresse d’esprit que faute de ressource, d’aller jusqu’au troisième raisonnement pour défendre son opinion, il n’avait que des velléités de gouverner. Sauf sur les questions où il estimait qu’était en cause sa dignité de Bourbon, il cédait facilement. Et même pour les choses qui lui tenaient à cœur comme roi de France, issu de la plus ancienne maison de l’Europe, il se payait de raisonnemens de casuiste afin de concilier sa fierté avec les exigences des temps. Ainsi, Louis XVIII avait admis les principes libéraux de la charte, parce que, jouet volontaire d’une illusion, il s’imaginait qu’il n’avait pas accepté cette charte et qu’au contraire c’était lui qui l’avait octroyée. Il souffrait que ses armées obéissent à des va-nu-pieds couturés de blessures et devenus maréchaux de France par cent combats, pourvu que ses gentilshommes de la chambre eussent trente-six quartiers. Plus soucieux des formes et des étiquettes que des choses et plus jaloux de l’apparence du pouvoir que du pouvoir même, il se montrait fort accommodant envers ceux à qui il en déléguait temporairement l’exercice. Le régime constitutionnel de l’Angleterre, dont les avantages l’avaient frappé durant son exil, moins peut-être au point de vue de l’intérêt des peuples qu’à celui de la tranquillité des rois, lui avait appris que les ministres peuvent se perdre sans compromettre la personne du souverain. Moitié de gré, moitié de force, il venait de donner cette constitution aux Français et il s’en remettait de bonne grâce à son ministre du soin de les gouverner.

Le malheur, c’est que le ministère, composé en majorité d’hommes de mérite, n’avait ni communauté d’opinion, ni unité de pensée, ni solidarité de personnes. « Il y a des ministres et pas de ministère, » écrivait Wellington à Castlereagh. Le conseil ne s’assemblait pas régulièrement ; c’était en audience privée que le roi donnait sa signature. Chaque ministre, même pour les affaires de son département qui pouvaient engager la politique générale du cabinet, décidait sans consulter ses collègues. L’ordonnance de Beugnot surprit Montesquiou et Louis autant qu’elle mécontenta la